Podcast : la nuit, les femmes sont des proies pour les hommes |
Pour Création on air, sur France Culture, Judith Bordas recrée une ambiance nocturne inquiétante à partir de témoignages de femmes : baisser la tête, marcher plus vite, quelles sont leurs stratégies pour évoluer en ville la nuit ? Et comment conjurer la peur ?
Et puis c’est arrivé. Il faisait nuit, la ville était déserte. Mais elle est sortie. Elle savait pourtant à quoi elle s’exposait. Ne l’avait-on pas prévenue ? Ne lui avait-on pas inoculé cette peur sourde depuis l’enfance ? Une femme seule n’est jamais en sécurité dans l’espace public. Le risque est inscrit dans ses gènes. Ce soir-là, elle a balayé l’angoisse réflexe comme on saisit une liberté, les poings serrés, jusqu’au moment où le prédateur apparaît dans l’ombre de la cité. La femme est une proie pour l’homme depuis la nuit des temps. Pour Traverser les forêts (prix Grandes Ondes du festival Longueur d’ondes 2019), une coproduction avec la RTBF diffusée dans Création on air, sur France Culture, Judith Bordas a interrogé plusieurs femmes pendant deux ans – bien avant #MeToo – sur la manière dont elles évoluent en ville, leurs stratégies de fuite et de défense. Ces histoires que nous connaissons toutes trop bien pour les avoir vécues d’une manière ou d’une autre : ignorer les regards appuyés, les sifflements lubriques, les insultes au coin de la rue, êtres suivies ou acculées, et ce réflexe de survie pour contourner le danger, baisser la tête, marcher plus vite, faire semblant de parler au téléphone, ou l’affronter avec les armes dont on dispose : « J’entends les pas derrière moi. Je suis prête à hurler. Lui transpercer le corps, lui arracher les yeux, balancer mon pied dans son entrejambe. Je prépare les clefs pour la maison. Et pour l’assaut, j’en glisse une entre deux doigts de ma main. »
Quelle femme n’a pas déjà utilisé cette technique pour se rassurer ou se défendre ? Laquelle n’a pas déjà accéléré le pas ou tenté de raisonner un assaillant ? L’émission est poignante, cathartique ; les voix se superposent comme un cri unique. « Attendre le meilleur moment pour fuir naturellement, sans en avoir l’air, calmement, ensuite seulement pleurer, crier le monde dehors, hurler les hommes, les égorger en pensée », répète la productrice, comme une litanie. Judith Bordas est plasticienne. Elle travaille la matière sonore comme une texture avec la réalisatrice Annabelle Brouard, jusqu’à ce que les ambiances nocturnes galvanisent ou inquiètent quand elles encerclent les témoignages. Les interlocutrices ne sont pas nommées, elles portent la parole de toutes les femmes. Elles disent la honte d’être jolie, la culpabilité, l’art de se rendre invisible. Ou la façon dont on s’interdit de traverser la forêt, malgré le désir de le faire. Dans cet essai radiophonique original et puissant, la peur se transforme en colère.
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