Jakuta Alikavazovic (3/3) |
Épisode 60 - La nuit elle ment.
C’est une histoire d’amour extraordinaire et, au moins pour l’une des deux personnes concernées, très compliquée. À Paris, Paul, dix-huit ans, réceptionniste et étudiant en architecture ayant «coupé les ponts» avec son modeste milieu d’origine, comble un ennui existentiel par quelques «étreintes évasives dans les escaliers de secours». Une nuit, il rencontre Amélia Dehr, riche héritière de la chaîne d’hôtels qui l’emploie. Panique totale, et début d’une romance brûlante longue durée. «Elle était de ces gens qui détruisent tout et appellent ça de l’art.» Amélia choisira de s’en aller dans ces Balkans «à peine pacifiés» à la recherche de sa mère, Nadia, praticienne d’une poésie à vocation documentaire, partie dans les ruines de la guerre en ex-Yougoslavie pour essayer d’exprimer, par fragments, l’épuration ethnique, la torture, les crimes de masse. Paul tentera de survivre à cette absence, à sa manière.
Publié en 2017 aux éditions de L’Olivier, « L’Avancée de la nuit» a pour racine l’un des silences de la mère de Jakuta Alikavazovic: sa décision d’arrêter d’écrire. «Le silence est un organisme. Il est vivant et il s'infiltre», lit-on dans ce roman fort maîtrisé sur «les secousses sismiques» des traumatismes familiaux. «La fiction représente la distance juste, qui permet de voir. Comme un instrument d'optique», dit l’autrice à propos de cette tragédie intime qui flirte avec l’anticipation, via des puces de surveillance et des voitures sans chauffeur.
Retenu sur les listes du prix littéraire du Monde, du Médicis, du Femina et du Livre Inter, salué comme la «révélation française de l’année» par le magazine Lire, «L’Avancée de la nuit» s’est seulement écoulé à 5800 exemplaires. Il se pourrait que cela change. Récemment traduit aux Etats-Unis, il a été applaudi par l’écrivaine britannique Deborah Levy pour «sa profondeur tenace», qui «met en lumière nos blessures individuelles et collectives, sans jamais dépouiller ses personnages de leurs défauts ni de leurs zones d'ombre». Il est l'heure de plonger dans la nuit.
Enregistrement: avril 22
Texte, voix, entretien, découpage: Richard Gaitet
Prise de son, montage: Sara Monimart
Réalisation, mixage: Charlie Marcelet
Lectures: Chloé Assous-Plunian, Arnaud Forest, Richard Gaitet, Silvain Gire
Musiques originales: Samuel Hirsch
Clavier, chant: Eve Girard
Illustration: Sylvain Cabot
Production: ARTE Radio
Musiques originales: Samuel Hirsch