Podcast : “Ecouter le cinéma”, ou comment le bruit d’une endive devient un os qui se brise |
Au cinéma, le sang qui gicle ou les voix d’aliens sont l’affaire des bruiteurs et des designers sonores. Dans une série de cinq podcasts sur Arte radio, ils dévoilent leurs procédés, souvent bluffants.
Pour reproduire le son de fractures d’os, elle utilise des endives. « C’était pour les besoins du film Total Western, d’Eric Rochant, en 2002, raconte la bruiteuse Judith Guittier. Il s’agissait d’une scène de torture où un homme se fait briser les membres un par un… J’ai dû sortir de l’auditorium, c’était insoutenable ! » Promis, après avoir écouté cette série d’Arte Radio sur le son au cinéma, vous ne regarderez plus ni vos films préférés ni votre frigidaire de la même manière !
En cinq épisodes, Laetitia Druart lève le voile sur le travail mal connu et souvent artisanal des monteurs, bruiteurs et autre designers sonores. A son micro, ils dévoilent les secrets rangés dans leurs valises. « Ils sont une extension des acteurs, ils bruitent chacun de leurs gestes, dans une sorte de danse », raconte la productrice. A chaque film sa « couleur sonore ». La clé : beaucoup de technique, mais surtout une oreille créative, capable de faire naître d’un son une émotion.
Pamplemousse et jappements de chiens
Parfois, des bruits naturels, tels des « sons d’Epinal », suffisent à réveiller nos peurs ancestrales et nos émotions enfantines — l’orage qui gronde inquiète ; la pluie régulière sur le toit rassure. Mais certains plans nécessitent plus d’imagination… Une artère qui gicle ? On enfonce des pouces dans un pamplemousse — un artifice plus qu’efficace : on a dû retirer notre casque.
La voix d’E.T. ? Celle d’une comédienne accro à la cigarette, mêlée à des jappements de chiens et d’otaries. Le sens, l’émotion sont aussi créés par des choix techniques. « Dans La Haine, de Mathieu Kassovitz, tout ce qui est à Paris est enregistré en mono, avec l’idée d’un territoire inconnu, dangereux, désagréable ; tout ce qui se passe dans la banlieue est en stéréo, large, bien dessiné, majestueux », détaille ainsi le sound designer Nicolas Becker.
Le vertige du numérique
Loin d’être une pure distraction auditive, la série revient aussi sur l’histoire sonore du cinéma. « Quand les ordinateurs sont arrivés, c’était la fête ! » se remémore le monteur son Guillaume Bouchateau en évoquant la révolution amorcée avec l’esthétique de Matrix en 1999. Aujourd’hui, les potentialités du numérique donnent le vertige… et face à leurs écrans certains éprouvent la nostalgie de l’artisanat d’autrefois.
Mais même dans les productions de science-fiction, le réel, sous les couches d’effets et de mixage, n’est jamais loin. Derrière le langage mystérieux des aliens octopodes imaginés par Denis Villeneuve dans Premier Contact, il y a ainsi des chants de baleines… Guillaume Bouchateau a beau avoir créé l’univers sonore futuriste de Valérian, le son qu’il préfère reste un petit vent sifflant, enregistré sans artifice dans un désert de Djibouti.