Sans notes
Radio Nova dérive dans l’effervescence d\'Alger

Dans son émission “A la Dérive” sur Radio Nova ce dimanche, Aurélie Sfez croise artistes, musiciens et féministes. Elle a couvert la manifestation du 22 mars, cinquième journée de protestation réclamant le départ du président Bouteflika.

Partir coûte que coûte à Alger pour faire une Dérive (pour Radio Nova) en immersion au coeur de la contestation pacifique rassemblant toutes les générations : à cela Aurélie Sfez était bien décidée. Mais aucun visa de journaliste n'était accordé. Restait à entrer en Algérie en cachant sa profession de journaliste et surtout obtenir un visa de tourisme. C'est là que l'aventure a vraiment commencé... La journaliste prétexte voyager en tant que musicienne et enfouit dans sa valise son enregistreur et une partition des Nocturnes de Chopin. Retour sur une aventure de deux heures diffusée ce dimanche, à 18h.

Sur quelle impulsion avez vous monté cette émission spéciale Les Vibrations d’Alger ?
Comme tout le monde, j'écoutais les infos, je lisais la presse et je me disais : ils sont forts les Algériens, ils sont des centaines de milliers, voire des millions dans les rues et ils marchent, chantent, dansent, sans violence après tout ce qu'ils ont vécu – la décennie noire des années 1990 – tous ces massacres et ce qu'ils vivent aujourd'hui, la censure, un régime autoritaire et liberticide, la pauvreté, un code de la famille qui asservit les femmes… J'avais très envie d'aller voir sur le terrain. De tendre le micro aux Algérois, de ressentir les vibrations de la foule et de la ville. Deux ans avant, j’étais allée en Algérie pour donner des cours de journalisme radio et j'avais senti les tensions entre les communautés, de la tristesse aussi. Beaucoup de frustrations et une forme de résignation chez les journalistes qui ne pouvaient pas exercer librement leur métier. Là, enfin le peuple se réveillait, je ne voulais pas rater ça.

Mais partir en Algérie en tant que journaliste n’était pas gagné…
Au moment où je monte le projet, on est le 15 mars et les journalistes étrangers ne sont pas autorisés à entrer en Algérie. Un ami journaliste de la radio algérienne me dit qu'un reporter de RTL qui avait demandé un « visa touriste » vient de se faire refouler. Comme je suis musicienne, je tente de me présenter en tant que pianiste et je raconte une fausse histoire : je dois absolument partir pour jouer du piano au mariage d'une amie imaginaire. Avec l’aide d’une copine sur place, on trouve une adresse à Alger et cinq jours plus tard, j'obtiens mon visa, le sésame !

“J’ai plongé dans la marée humaine.”

Quelles portes vous ouvre-t-on à Alger ?
J'ai tourné deux épisodes pour mon émission A la dérive. Le premier (diffusé le 31 mars et disponible en podcast) avec Amin et Kader, deux jeunes du collectif ATM – Algerian Techno Movement – qui rêvent de rave, de liberté et de nuits festives dans les sous-sols, les friches, les toits d'Alger. Ces mouvements de contestation touchent directement les milieux artistiques et le collectif ATM revendique le droit de mixer en liberté, en dehors des clubs d'hôtels privés, réservés à la jeunesse dorée où acheter une bouteille coûte la moitié d'un salaire. Ils sont même en train d’écrire une charte avec des propositions pour avoir le droit de créer des soirées et imaginer enfin des nuits algéroises. Avec eux j'ai dérivé dans les sous-sols labyrinthiques d'un immeuble moderne du quartier Telemly au centre d'Alger, ensuite ils m’ont emmenée dans l’aéro-habitat. C’est une ville dans la ville. Au dernier étage, on se perd dans les couloirs bétonnés à ciel ouvert et on a une vue panoramique sur la baie d’Alger. On voit les bateaux et ça donne la sensation qu’on peut toucher Marseille.

Votre deuxième Dérive est consacrée au musicien Amazigh Kateb, leader du groupe Gnawa Diffusion, fils de l’écrivain, poète et dramaturge Kateb Yacine, qui porte un autre regard sur Alger.
Avec lui, j’ai découvert la beauté du jardin botanique et tropical de l’hôtel El-Djazaïr (ex hôtel Saint-Georges). Les mosaïques, les fontaines, l’architecture, sont les témoins de l’héritage Arabo-Ottoman. Ensuite, Amazigh m’a guidé jusqu’au marché Meissonnier. C’est le marché le plus populaire d’Alger, en plein centre, sous une halle. J’avais mon micro à la main et tout le monde est venu nous parler. Et puis j’ai aussi découvert Les ateliers sauvages, un lieu de résidence pour les artistiques contemporains crée par Wassyla Tamzali, écrivaine, militante féministe, ancienne directrice des droits des femmes à l’UNESCO. Un lieu libre, indépendant avec des expositions, des performances, des lectures, des projections de film… J’ai rencontré la jeune slameuse Ibtissem Hattali pour un un portrait sonore. Il n’y a vraiment pas beaucoup de femmes dans le rap ou dans le slam ici et Ibtissem ne mâche pas ses mots. Au micro, elle raconte le quotidien d’une jeune fille en Algérie, dans la rue, en famille, au travail…

Comment avez-vous été accueillie dans les manifestations ?
J’ai plongé dans la marée humaine. Et puis j’ai sorti le micro pour lire les pancartes à voix haute et j’ai commencé à questionner les gens au hasard. L’ambiance était ultra festive. On ne pouvait plus marcher. Tout Alger était sur la place, dans les arbres, accroché aux statues, sur les balcons, les toits des monuments. L’humeur était à la fête, aux échanges, à la danse. On m’a dit qu’il fallait que je chante pour respirer, sinon je risquais d’étouffer. Ce 22 mars il paraît qu’il y avait entre huit-cent-mille et un million d’Algérois dans les rues. C’était vertigineux.

Quelles impressions retirez-vous après ces dérives algériennes dans un contexte bien particulier ?
Ça m’a donné beaucoup d’énergie. Des bonnes vibrations, c’est pour ça que j’ai intitulé cette soirée « Les vibrations d’Alger » parce que qu’on ressent une sensation physique, ça bouillonne, ça vibre, ça remue. La rue, le sol, les murs, les capots des voitures, tout est vivant. Alger est une ville qui a un potentiel extraordinaire, elle respire la poésie. Ici ce n’est pas un vain mot. L’arabe est une langue imagée, pleine de métaphores et d’humour. Le monde arabe regorge de poètes, Mahmoud Darwich, Kateb Yacine, les divas comme Oum Khaltoum ou Fairuz sont des figures libres et le peuple algérien porte dans sa langue tout un patrimoine littéraire, ça se ressent dans les expressions populaires et dans les témoignages.


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