Sur France Culture, le témoignage fort de Maureen Kearney, “La Syndicaliste” d’Areva |
En 2021, “Les pieds sur terre” recueillait le témoignage de Maureen Kearney, dirigeante syndicale dont l’histoire glaçante a inspiré le film de Jean-Paul Salomé avec Isabelle Huppert, actuellement en salles.
Publié le 09 mars 2023 à 18h15
Mis à jour le 10 mars 2023 à 11h38
Elle a été retrouvée, le 17 décembre 2012, ligotée à une chaise chez elle, la lettre A gravée sur le ventre par une lame et le manche d’un couteau enfoncé dans le vagin. Maureen Kearney, syndicaliste d’Areva (géant français de l’énergie qui concevait, fabriquait et alimentait en uranium les réacteurs des centrales), a inspiré au cinéaste Jean-Paul Salomé le film La Syndicaliste, avec Isabelle Huppert. En 2021, l’émission Les pieds sur terre de France Culture avait recueilli le témoignage, en deux parties, de la protagoniste de cette inquiétante affaire. Un documentaire saisissant, qui tient du thriller glaçant. Au micro de Noémie Landreau, Maureen Kearney revient sur son calvaire le matin du drame, mais aussi sur la période de l’après, qui l’a vue passer du statut de victime à celui de coupable. On l’entend raconter son enfance en Irlande, bercée par le militantisme de sa grand-mère puis de sa mère, ses combats de la première heure au lycée, et plus tard ses engagements aux côtés des salariés.
Jusqu’à son arrivée au poste de secrétaire générale du comité de groupe européen de la multinationale Areva. Une institution qui se réunit pour discuter de sujets liés aux conditions de travail des employés. « Maureen, je l’ai connue vingt ans comme syndicaliste, c’est elle qui m’a fait entrer à la CFDT, c’est quelqu’un de très droit qui ne supporte pas les injustices et ne jure que par la loi », dit d’elle Anne Gudefin, qui lui succédera. Mais en 2011, tout bascule. « Nous avons reçu une copie de contrat entre EDF et CGNPC (China General Nuclear Power Corporation), une entreprise d’industrie nucléaire chinoise, mentionnant un transfert de technologie d’Areva. Ce qui signifiait qu’on perdait notre savoir-faire et à terme des emplois », explique l’ancienne syndicaliste, qui s’oppose alors à son employeur Luc Orsel, pdg d’Areva, et au pdg d’EDF, Henri Proglio. « Elle entrait dans un jeu où les intérêts économiques sont énormes. Au milieu de tout cela une petite syndicaliste se mettait en travers de leur route, il fallait la faire taire », rapporte François Martinez, ancien inspecteur qualité chez Areva, proche de la syndicaliste.
Accusée d’être une mythomane
Quand elle raconte son agression, Maureen Kearney contient son émotion et n’omet aucun détail, comme la sensation du couteau sur son ventre (« je l’ai senti couper, gratter… »). Du viol qu’elle assure avoir subi, elle ne garde pas de souvenir, affirmant s’être « coupée de [s] on corps ». Mais les paroles délivrées par l’agresseur résonnent encore : « Il m’a dit : “c’est le deuxième avertissement, il n’y en aura pas de troisième” ». L’enquête est confiée à la gendarmerie de Versailles qui malmène la victime : « J’ai été examinée par des hommes, comme un animal chez le vétérinaire, lâche-t-elle le souffle court. Pendant l’expertise psychiatrique, j’étais terrorisée à chaque fois que je parlais de l’agression. Je ne comprenais pas qu’on me pose toujours les mêmes questions pendant des heures. »
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Faute de preuves, comme des traces d’ADN, les enquêteurs l’accusent d’être une mythomane. Le 6 juillet 2017, elle est condamnée à six mois de prison avec sursis et à une amende de 5 000 euros pour dénonciation de crime imaginaire. Elle fait appel et change d’avocat. Hervé Temime épluche le dossier d’instruction, relève quantité d’incohérences, dont des preuves perdues… En novembre 2018, Maureen est enfin acquittée : la cour dénonce dans son jugement les carences manifestes de l’enquête.
r L’Agression, l’histoire vraie de Maureen Kearney, la syndicaliste, dans Les pieds sur terre sur France Culture. Réalisation : Anne Depelchin. 2 × 30 mn.