Le “Fahrenheit 451” de Ray Bradbury embrase France Culture |
Pascal Rénéric et Judith Chemla, portés par la musique de Quentin Sirjacq, font résonner la dystopie de Ray Bradbury avec force et profondeur, dans un concert-fiction mis en ondes pour France Culture.
Dix ans qu’ils espéraient revisiter ce classique : sur France Culture, le réalisateur Alexandre Plank et l’adaptatrice Pauline Thimonnier s’emparent de Fahrenheit 451, de Ray Bradbury, pour un concert-fiction. Paru en 1953, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et en pleine course à l’armement nucléaire, ce roman de science-fiction met en scène une société où la télévision et la radio remplacent la littérature. Les pompiers doivent brûler les livres, comme en écho aux autodafés hitlériens ou aux grandes purges staliniennes. « L’action est prenante, folle, et engage notre réflexion sur notre rapport aux savoirs, à la mémoire et au passé », détaille Pauline Thimonnier, qui a sélectionné les extraits de l’ouvrage ainsi mis en ondes.
Plutôt que sur l’aspect dystopique de l’œuvre, c’est sur le parcours psychologique de Montag, le héros, que les deux acolytes se sont concentrés. « Le texte a été resserré pour montrer comment ce pompier pyromane prend conscience de son humanité. » Pascal Rénéric incarne de façon émouvante cet homme qui déroge à sa mission : il a rencontré Clarisse, qui l’initie au puits de connaissance que sont les livres. « Montag se rend alors compte que son monde ne fonctionne pas, et qu’il doit en faire le deuil », précise Alexandre Plank.
Le quatuor Ellipse joue les notes imaginées par le compositeur Quentin Sirjacq — qui le dirige aussi. D’autres musiciens improvisent, pour trouver la musique qui donne à chaque moment, à chaque protagoniste justesse et profondeur. Loin de l’interprétation un peu naïve de Julie Christie dans le film de François Truffaut (1966), Judith Chemla fait de Clarisse une silhouette ambiguë, évanescente, à la diction murmurante. Elle donne le sentiment de pouvoir disparaître si on la touche, s’absenter sans crier gare. La jeune femme figure la conscience de Montag, auquel elle sert de miroir. Contrairement à l’histoire originale, on ne connaîtra pas le sort qui l’attend.
Les pompiers sont, eux, regroupés côté jardin et, comme un chœur antique, s’expriment simultanément. « Ils ne réfléchissent pas individuellement, détaille l’adaptatrice. Ils matérialisent la caserne, mais sont aussi une allégorie de la pensée commune, de la société. » Montag finira par se détacher du groupe. L’auditeur suit ses pérégrinations mentales : va-t-il sauver les livres, et se sauver lui-même ? L’ex-pyromane tente de se raccrocher à la culture et à l’humanité de ses semblables. Dans cette fiction nimbée de douceur, il fait efficacement entendre la détresse et la violence d’un monde qui semble bien proche du nôtre.