“Les Grandes Espérances” de Charles Dickens : noir c’est noir, sur France Culture |
Cent vingt comédiens mettent en voix l’univers victorien du célèbre roman. Du Kent à Londres, le suspense monte, au gré d’une partition de piano magnifique.
Naître pauvre, grandir orphelin et battu, mais avoir tout de même pour sa vie de grandes espérances. Espérer la fortune, le monde des gentlemen, l’amour des jeunes filles très belles et très arrogantes… Quoi de plus ordinaire que l’itinéraire de Pip, le jeune héros mis en scène par Charles Dickens en 1861 ? Les Grandes Espérances est pourtant loin d’être un simple roman d’apprentissage : les personnages traditionnels de la comédie sociale y croisent ceux, plus troubles et menaçants, d’un thriller riche en rebondissements.
Ce n’est donc pas un hasard si France Culture a choisi, pour adapter l’intrigue en feuilleton sonore, une romancière férue de polars. « J’ai une véritable passion pour Dickens, qui jongle si bien avec le trivial et le poétique. J’adore sa façon d’entretenir un suspense insoutenable tout en nous livrant petit à petit des clés de lecture », s’enthousiasme la scénariste et traductrice Sylvie Granotier, qui a travaillé à partir du texte anglais parce que « les traductions déjà existantes donnaient plus à entendre une époque que la diversité des personnages imaginés par Dickens ».
Jacques Gamblin, excellent narrateur
Pour retranscrire toutes les couleurs victoriennes des protagonistes — la naïveté tendre du beau-frère, Joe Gargery, le ton coupant de l’homme de loi M. Jaggers ou la cruauté mélancolique de la vieille Miss Havisham —, la réalisatrice Juliette Heymann a pu compter sur une distribution particulièrement réussie. Les quelque cent vingt comédiens embarquent immédiatement l’auditeur dans leurs dialogues très rythmés. Jacques Gamblin notamment, qui incarne Pip devenu vieux, excelle en narrateur à la fois drôle, sage et caustique.
La fiction, divisée en quinze épisodes, nous promène des marais inquiétants du Kent, cachette des forçats en cavale, jusqu’à l’ambiance feutrée des soupers londoniens… Qualité indéniable du feuilleton : la partition de piano magnifique composée par Denis Chouillet, qui porte la quête de soi de l’apprenti gentleman déraciné de son milieu social originel. Les génériques — trois différents — suivent d’ailleurs la progression émotionnelle du héros, de l’espoir à la désillusion.
« Pip est l’objet plutôt que le sujet de cette histoire, en fait horrible, s’émeut la réalisatrice. Il est la créature de son protecteur mystérieux, qui le fait gentleman sans lui demander son avis. Pip est finalement un gamin ballotté par la vie, qui existe par les autres… » On ne peut que s’attendrir du destin de ce héros marionnette bringuebalé dans les méandres d’une ascension sociale qui, sous la plume de Dickens, prend une tournure souvent plus cynique que merveilleuse.