Europe 1 : une rentrée entre espoirs et lucidité |
La station d’Arnaud Lagardère, dont les audiences sont catastrophiques d’année en année, change à nouveau de programmation. Elle est plus séduisante que l’an passé.
Ça y est, les radios ont fait leur rentrée. Et comme l’année dernière, la précédente et celle d’avant, on a tendu l’oreille du côté d’Europe 1 avec une curiosité mêlée de crainte, et toujours cette même question : quelle allure aurait donc cette énième nouvelle grille ? Car depuis plus de quatre ans, la station est en chambardement perpétuel.
Depuis 2017, les équipes ont vu se succéder trois programmations différentes, et trois patrons : Frédéric Schlesinger, Laurent Guimier, et désormais Constance Benqué, directrice du pôle News du groupe Lagardère. Ses prédécesseurs n’ont pas survécu à la chute vertigineuse des audiences (5 % d’audience cumulée sur la dernière vague Médiamétrie…), et ce malgré des choix intéressants (on avait cru à l’effet Patrick Cohen à la matinale il y a deux ans).
Remettre l’info au centre
Las, l’alternance effrénée des lignes éditoriales (humour et divertissement en 2016, info en 2017, puis le retour de la carte « people » en 2018 avec la téléportation de Nikos Aliagas au micro du matinalier) n’a fait qu’embrouiller nos oreilles.
« En radio comme dans un couple en difficulté, les avancées en ligne droite ça n’existe pas », justifie le patron de l’info, Donat Vidal-Revel. Mais cette année on n’a pas fait un “reset” complet. On s’est posés, on a réfléchi, pour capitaliser sur ce qui avait marché l’an passé. »
Résultat : Matthieu Belliard, transfuge de RMC convaincant sur le 17h-20h l’année dernière, hérite d’une matinale complètement remaniée. Une heure supplémentaire qui fait respirer la tranche, des journaux plus longs présentés à deux voix, et des interventions d’auditeurs saupoudrées au gré de l’actualité.
« On a remis l’info au centre, résume Donat Vidal-Revel qui s’est plongé dans les archives de la station depuis 1996 pendant l’été. On s’est rendu compte qu’en une vingtaine d’années les journaux s’étaient rabougris… Petit à petit, leur place dans la matinale avait été divisée par deux ! Or, quand on a moins de temps pour raconter l’info, on a moins de diversité dans son traitement… Ça a pu faire fuire notre public traditionnel. »
Retour aux sources donc, mais en éclatant le déroulé classique de la tranche. « On choisit de faire une matinale en rupture avec le format des radios privées, qu’Europe 1 a contribué à imposer… mais qui aujourd’hui est usé, poursuit l’ancien reporter. L’idée est de nous distinguer de nos concurrents directs, de ringardiser leurs matinales engoncées. Finalement, c’est quand on va mal qu’on ose innover ! » Comme si la radio avait enfin accepté son statut de challenger.
Le changement s’entend, d’autant plus en comparaison avec les matinales quasi inchangées de RMC, Inter et RTL. Après une semaine d’écoute, nos oreilles, bien qu’un peu perturbées, sont stimulées. Les surprises originales sont au rendez-vous, par exemple avec L’invité inattendu de 6h18 ou la chronique de Fanny Agostini depuis sa ferme auvergnate.
Globalement, la grille 2019-2020 s’est remusclée, avec par exemple le retour de la culture et des médias de 9 heures à 11 heures, incarné par Philippe Vandel de retour sur la tranche. L’après-midi surtout, abandonné au standard l’an passé, reprend des couleurs. De 15 heures à 16 heures, à la place de la libre antenne très vague d’Olivier Delacroix sur « les sujets de société », Mélanie Gomez propose une émission recentrée sur la santé, plutôt plaisante. Avec un peu moins d’auditeurs, et plus de spécialistes (le Dr Jimmy Mohamed et la sexologue Catherine Blanc).
Matthieu Noël quitte, lui, la prématinale, envoyé au front stratégique du 16h-18h – hors compétition face aux Grosses têtes toutes-puissantes de RTL. Son Équipée sauvage, qui mixe humour et info avec des journalistes de la station et un invité d’honneur, remplit son office : on apprend vraiment des choses, pourvu qu’on ait le courage de supporter les coupures pub incessantes.
Bref, les premières impressions sont moins mauvaises que l’an passé. En interne aussi. « On a été plutôt favorablement surpris par la grille, confie un salarié. Depuis le temps qu’on réclamait la mise en avant de talents maison au lieu de faire des recrutements médiatiques onéreux… On n’est pas dupes, on sait que c’est pour faire des économies, mais au moins on se dit que nos dirigeants ont compris. »
De l’avis de tous nos interlocuteurs, il y aurait donc « un frémissement », et même « des sourires » rue des Cévennes. Pourtant, la nouvelle patronne a joué cash quand elle est passée rencontrer les équipes. « Je les ai mis autour de la table, et je leur ai clairement dit que mon objectif était d’abord de stopper l’hémorragie. Et que ce serait long », nous raconte Constance Benqué, largement secondée dans sa mission par le bras droit d’Arnaud Lagardère Ramzi Khiroun, très présent ces derniers mois dans les couloirs de la station selon plusieurs salariés, allant jusqu’à écouter les maquettes des émissions.
« Je sais qu’on part de loin, mais on a tout fait pour que ça marche, on a analysé les erreurs d’hier, poursuit Constance Benqué, optimiste mais lucide. Maintenant il nous faut du temps. Les salariés ont besoin d’une vision et de stabilité. » L’avenir dira si elle échappera au sort de ses deux prédécesseurs.
Lagardère pourrait entendre les revendications des équipes, qui réclamaient ce printemps en effet un vrai cap pour leur radio. Après une motion de défiance contre leur patron, les salariés ont réussi l’exploit de faire venir le dirigeant sur place, deux fois en un peu plus d’un mois.
« On est vaccinés contre ses discours très entraînants, mais on ose espérer… Même si ses soucis financiers nous font peur », fait remarquer un journaliste. Selon le Financial Times, l’homme d’affaire aurait une dette de plus de 200 millions d’euros, montant qui dépasse la valeur de ses actions Lagardère. Mercredi, pendant son point presse de rentrée, le pdg du groupe concurrent NextRadioTV Alain Weill n’a pas caché qu’il étudiait le rachat de Virgin et RFM.
Europe 1 reste pour l’instant dans le giron de Lagardère, qui prévoit de lancer une campagne publicitaire d’ici la fin de l’année 2019, tout en poursuivant la délinéarisation des contenus avec la production de podcasts.
En parallèle, un projet de remaniement numérique est en cours : la direction souhaite confier la production des contenus destinés au site à la rédaction radio. L’équipe de journalistes web aurait alors pour rôle l’édition et la mise en ligne des articles. « Ce n’était plus possible de faire cohabiter deux lignes éditoriales. Je veux une rédaction globale, sans pour autant transformer mes journalistes en hommes et femmes-orchestres », explique Donat Vidal-Revel. « C’est une grosse secousse pour nous, oppose un reporter. La rédaction web vit ça comme une déqualification de leur métier ». Un expert a été mandaté sur le sujet par les élus.