“Une ‘Stolperstein’ pour Eva” : l’être d’une inconnue, sur France Culture |
Pour rendre hommage à sa grand-tante assassinée par les nazis, l’acteur Joachim Salinger a fait poser une “Stolperstein” dans le sol berlinois. Un petit pavé de laiton où repose son nom pour l’éternité. Une très émouvante “Histoire particulière” à (ré)écouter sur le site de France Culture.
Qui était Eva Salinger ? Au début de ses recherches, son petit-neveu, l’acteur Joachim Salinger, n’était même pas sûr de son prénom, la mémoire familliale étant pleine de silences, de trous et de douloureux non-dits. Au fil du temps et de ses recherches, il a pu reconstituer quelques bribes de cette vie anéantie en 1943 dans le camp d’extermination de Chelmno, en Pologne. Une photo, deux coffrets vides, une liste de petits effets… D’un épisode à l’autre de cette bouleversante Histoire particulière signée Zoé Sfez et Jean-Philippe Navarre pour France Culture, surgit peu à peu de l’oubli cette jeune Eva, mère célibataire modeste et isolée qui réussit à sauver sa petite fille Ruth en l’envoyant en Grande-Bretagne grâce à l’opération humanitaire Kindertransport, quelques mois avant le début de la « catastrophe ». Pour lui rendre hommage par-delà les mots, Joachim Salinger a fait poser en février 2019 une Stolperstein devant le 31 Lothringerstrasse, dernière adresse connue de sa grande-tante; ainsi, elle qui n’a pas eu de tombe a maintenant son épitaphe scellé à même le sol berlinois. A l’origine de ces Stolpersteine, littéralement « pierres d’achoppement » et dont le nom fait écho à la tradition juive de déposer des petites pierres sur les tombes, le sculpteur allemand Gunter Demnig qui, depuis 1993, et d’abord illégalement, encastre dans les trottoirs des villes allemandes ces petits carrés de béton et métal dans lesquels il grave nom, date de naissance et lieu de déportation de chaque victime du nazisme.
Aujourd’hui, l’on recense plus de 70 000 pavés de mémoire posés à travers l’Europe « le plus grand mémorial décentralisé du monde », comme la chercheuse Claire Kaiser nomme joliment le projet Demnig. Rien d’institutionnel, juste des petits pavés disséminés dans les villes sur lesquels on trébuche au hasard de ses pas et qui font surgir souvenir, sentiment ou simple interrogation. C’est d’ailleurs ce qui a séduit Joachim : « Derrière chaque pavé qui est posé, il y a toujours une volonté particulière […] Il y a toujours une pierre pour une victime, on est dans le particulier et dans une certaine forme d’intimité, tout ça va créer de l’engagement. » Pas d’injonction au devoir de mémoire, juste des signes de ceux qui ont été vivants, un lien fortuit et personnel avec l’histoire.