Edward Snowden sur France Inter : “On connaît la vérité, on s’y habitue, on se résigne” |
Sur France Inter, le lanceur d’alerte Edward Snowden demande de nouveau l’asile politique à la France. Une interview rare accordée dans le cadre du Grand Entretien de la matinale, depuis Moscou où il est en exil depuis 2013.
Edward Snowden s’est adressé à Emmanuel Macron ce matin sur France Inter pour demander l’asile politique, une requête qui avait été refusée par François Hollande en 2013. Le lanceur d’alerte était l’invité exceptionnel du Grand Entretien. Léa Salamé et Nicolas Demorand ne cachaient pas leur satisfaction d’avoir pu décrocher cette interview, rare apparition de l’Américain en exil à Moscou depuis 2013, et dont le droit d’asile se termine en 2020.
Recherché par les Etats-Unis, Snowden multiplie les précautions pour se protéger, ce qui explique que cet échange n’a pas été réalisé en direct, mais enregistré quelques jours avant via un système sécurisé qu’il a lui-même mis en place. Le trentenaire – qui a été le premier à révéler l’ampleur de la surveillance de masse mise en place par les Etats-Unis après les attentats du 11-Septembre – est inculpé d’espionnage, vol et utilisation illégale des biens gouvernementaux.
A l’occasion de la publication de son livre Mémoires vives (éd. Seuil), il revient sur son parcours à la NSA et à la CIA. Informaticien talentueux, il a contribué à créer les systèmes informatiques permettant cet espionnage de masse des citoyens comme XKeyscore, un moteur de recherche espion sur chacun d’entre nous dont il détaille l’usage : “Je vois absolument tout ce que vous écrivez et tous les sites que vous visitez même si c’est crypté, on peut voir que vous lisez telle information, pour qui vous votez, qui vous fréquentez, à quelle heure vous vous réveillez car vous avez programmé votre téléphone... On peut remonter ainsi dans le passé. » Quant à la minuscule caméra sur les ordinateurs, elle est un accès direct à l’intimité des internautes. Snowden rapporte avoir observé un enfant indonésien sur les genoux de son père en train de jouer sur l’ordinateur, son regard enjoué comme plongé dans le sien de l’autre côté de l’écran : « Je me suis senti à la place des gens dont la vie était violée ». Jusqu’à ce qu’il se décide à tout révéler aux médias et débute sa cavale en 2013.
Le monde est-il plus sûr depuis ces révélations ? « On connaît la vérité, on s’y habitue, on se résigne, répond-il. Les entreprises deviennent, elles, plus intrépides. Cette tendance va se poursuivre jusqu’à ce que socialement nous, tous ensemble, commencions à travailler pour changer cela, en nous demandant d’abord quel avenir nous voulons. » Les entreprises en question sont les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazone…), tous ces géants du web qui récupèrent nos traces numériques et les stockent : « Elles fonctionnent comme des bras armés des gouvernements, poursuit-il. Elles colonisent Internet de telle sorte qu’il soit problématique d’éviter leur services. »
A la question de Léa Salamé « quels conseils donner aux Français? », Edward Snowden ne cherche pas à les illusionner : « Je ne veux pas tromper vos auditeurs. De toute façon, on n’a pas le choix, on doit utiliser Google ou Facebook, avoir un téléphone portable, tout cela fonctionne contre vous ! Et on y consent en cliquant sur l’onglet “j’accepte” pour pouvoir accéder à des applications. Il faut changer le système sur le plan social, commercial, juridique et gouvernemental. » Car en laissant faire, même les politiques sont sous contrôle comme le Premier ministre Edouard Philippe qui converse avec ses ministres sur l’application WhatsApp, qui appartient aussi à Facebook. « Il ne faut pas que les officiels du gouvernement utilisent Facebook pour traiter de questions d’Etat, il existe des systèmes à la sécurité plus renforcée. » Comment Edward Snowden voit-il l’avenir ? « Ce n’est pas à moi de le dire, c’est à vous… », botte-t-il en touche.