Réforme de l’audiovisuel public : serait-ce le retour de l’ORTF ? |
Le ministre de la Culture a annoncé ce mercredi la création de France Médias, une holding regroupant notamment France Télévisions et Radio France. Mais cette réforme soulève de nombreuses interrogations, à commencer par l’indépendance des services d’information des télés et radios publiques. Explications.
C’était devenu un secret de Polichinelle : le gouvernement va bien créer une holding qui chapeautera l’ensemble de l’audiovisuel public (France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, INA), mais pas Arte et TV5, à compter du 1er janvier 2021. Une super structure baptisée sobrement France Médias, censée « impulser une stratégie globale afin de toucher tous les publics à l’heure de la révolution numérique et de l’évolution des usages », dixit Franck Riester, le ministre de la Culture, qui a annoncé cette étape décisive de la réforme de l’audiovisuel dans le Figaro et sur France Info ce 25 septembre. Une organisation qui n’est pas sans rappeler l’ORTF, qui regroupait tout l’audiovisuel public jusqu’en 1974 et incarnait la mainmise du pouvoir sur l’information… Il avait dévoilé début septembre une première salve de mesures, comme plus de pub sur les chaînes privées ou la fin des jours interdits de cinéma à la télé (mercredi, vendredi, samedi). Le texte, qui doit être présenté courant novembre en conseil des ministres, sera discuté au Parlement au premier semestre 2020.
A quoi doit servir France Médias ?
Cette « société mère » détiendra les actions de l’ensemble des sociétés actuelles, France Télévisions, Radio France, l’INA et France Médias Monde, et sera en charge de « la stratégie et de la cohérence » de l’édifice, explique le ministre. Arte France et TV5 Monde ne font pas partie du périmètre. France Médias doit inciter à bâtir des coopérations éditoriales fortes notamment sur l’information et l’offre de programmes. La création de la chaîne France Info sert souvent d’exemple. La holding devra également trouver « des leviers d’optimisation des fonctions support », a glissé Franck Riester ce matin sur France Info. Une petite phrase qui ne manquera pas d’alerter des salariés déjà soumis, à Radio France et à France Télévisions, à des plans de réduction d’effectifs et d’économies drastiques...
Quel mode de nomination ?
Le ou la future(e) président (e) de France Médias sera nommé par son conseil d’administration, dont trois membres sur douze seront des représentants de l’Etat. Les autres seront composés par six personnalités qualifiées et indépendantes (deux nommées par le Parlement, deux proposées par l’Etat après avis conforme du CSA et deux nommées par le conseil d’administration lui-même). Il y aura aussi deux représentants des salariés.
Les présidents de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA deviendront de simples directeurs généraux au sein de la nouvelle structure. Ils seront eux-mêmes désignés par leur propre conseil d’administration.
Quid des dirigeants actuels, Delphine Ernotte en tête ?
Le mandat de Delphine Ernotte (France Télévisions) arrive à échéance le premier, à l’été 2020. Comme la loi ne sera pas encore en vigueur, la désignation de son ou sa successeur(e) sera le fait du CSA, comme actuellement. Cette personne sera nommée pour deux ans et demi, avant qu’une nouvelle procédure désigne celui ou celle qui deviendra alors « directeur général » de France Télévisions. Des voix s’élevaient ces dernières semaines pour évoquer la possibilité que la dirigeante prolonge son mandat… Franck Riester ne s’est cependant pas prononcé sur le sujet. Mais qui voudra se présenter pour une durée aussi brève ?
A la tête des autres médias (par souci d’harmonisation, tous les mandats actuels arriveront à échéance en 2022), les nominations se feront dans le cadre de la nouvelle loi : il reviendra donc aux conseils d’administration respectifs des sociétés d’y procéder. Le CSA — ou plutôt l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), qui naîtra sa fusion avec la Hadopi — y apposera son avis conforme.
Quelle indépendance ?
C’est évidemment toute la question. Elle est garantie par le nouveau mode de nomination via les conseils d’administration, jure Franck Riester, rappelant que les solutions précédentes, à savoir directement par l’exécutif sous Nicolas Sarkozy puis de nouveau le CSA depuis 2012, ne présentaient pas toutes les garanties d’indépendance. « A l’étranger, pratiquement tous les patrons de l’audiovisuel publics sont nommés par leur conseil d’administration », rappelle le ministre dans le Figaro. Le ou la président(e) de la holding « ne s’occupera en aucune façon des programmes et de l’éditorial au sein des différentes entités », ajoute-t-il, cette fonction restant l’apanage des dirigeants des différentes entités. Sauf que le ou la super patron(ne) de France Médias aura la main sur le nerf de la guerre : l’argent. C’est au sein de la holding que sera en effet décidée la répartition du budget de l’audiovisuel public entre France Télévisions, Radio France, France Média Monde et l’INA. Un pouvoir exorbitant qui sera forcément source de tensions entre les différentes sociétés. Et qui réduit de facto les marges de manoeuvre de leurs dirigeants. Une verticalité qui n’est pas sans rappeler l’organisation de feu l’ORTF, qui regroupait dans une structure unique tout l’audiovisuel (alors uniquement public) jusqu’en 1974. Et qui a longtemps symbolisé la mainmise de l’Etat sur l’information des télés et les radios publiques. Les questions, voire les inquiétudes, sur les risques de l’atteinte à l’indépendance éditoriale des quatre sociétés sont donc plus que légitimes.
Quel argent pour l’audiovisuel public ?
A ce stade, aucune économie supplémentaire n’est pour l’instant demandée aux différentes sociétés. La trajectoire, déjà sévère, reste donc la même : 400 millions d’euros d’économies à France Télévisions et 2 000 suppressions de postes, 60 millions à Radio France et de 270 à 390 postes en moins. Quant à la contribution à l’audiovisuel public, elle sera encore allégée (le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin vient de la ramener de 139 à 138 euros) si son recouvrement dégageait un rendement supérieur à celui attendu. « On rendra cet argent aux Français, mais ça pourra aller dans l’autre sens » a expliqué le ministre. C’est parti pour une redevance yoyo ?