En février 1974, Patricia Hearst est enlevée par des révolutionnaires dans son appartement de Berkeley, où elle étudie. Son sort va dès lors passionner les foules. Héritière d’un magnat de la presse, la jeune femme, âgée de 19 ans et prête à se marier, semble « sortir d’un autre siècle », selon la romancière Lola Lafon, qui s’inspira partiellement de son parcours pour Mercy, Marry, Patty (éd. Actes Sud). Très vite, elle s’adresse au grand public via des messages sur cassettes. « Maman, papa, je vais bien », commence-t-elle, indiquant qu’elle n’a pas été brutalisée. Tandis que le FBI la traque, elle rallie la cause de ses ravisseurs, l’Armée de libération symbionaise, une organisation « très loufoque » qui prône notamment une meilleure justice sociale. Tandis que son père raconte l’histoire de sa fille dans ses journaux — dont il n’a jamais vendu autant d’exemplaires ! —, Patricia l’engage à verser sa rançon « à des gens qui meurent de faim en Californie ». La bourgeoise raptée participe même à une attaque de banque. « Je renonce aux privilèges de ma classe et refuse de vivre le reste de ma vie entourée de porcs comme les Hearst », assure-t-elle.

Passionnant, ce documentaire en deux parties, signé Pauline Maucort et Véronique Samouiloff pour Une histoire particulière, sur France Culture, décortique l’aventure politique de ­Patricia Hearst. On entend la voix de la jeune femme, soigneusement traduite avec un accent anglo-saxon. Mais aussi les éclairages d’écrivains, d’une historienne ou d’un journaliste ayant couvert le fait divers. Particulièrement intéressante, la deuxième émission traite de la façon dont la parole d’une jeune femme est alors considérée : sa perception du monde bascule, ses opinions politiques se forment, mais la société la pense sous influence d’un homme. Elle reste une victime, considérée incapable d’avoir un engagement propre. « Je me demande si vous ne manquez pas beaucoup de personnalité », ose lui balancer Bernard Pivot quand il la reçoit à la télévision. « Quand elle pose avec une mitraillette, elle fait doublement peur car elle s’engage contre la classe dominante dont elle est issue », note l’historienne Fanny Bugnon. Après son arrestation et son emprisonnement, la rebelle rentre dans le rang. Le « soldat de l’armée du peuple » est devenu « une dame respectable qui fait des concours de petits chiens ». Faisant taire la voix qui en elle avait émergé.