Dans les années 30, à Belle-Île-en-Mer, on mettait les orphelins au cachot… |
Il y a moins de cent ans, des enfants grandissaient au bagne, battus, asservis. Leur crime ? Être orphelins. Pour “Autant en emporte l’histoire”, une fiction raconte la révolte de Belle-Île, qui, en 1934, mit enfin au jour cette violence d’État.
Nous sommes en 1934. Manu compte les punaises qui grouillent sur le sol de sa cellule et qu’il écrase. Enfermé à l’isolement depuis douze jours, il désespère. À 14 ans à peine, il est déjà en prison : son seul crime est d’être orphelin, comme beaucoup d’autres pensionnaires de la maison d’éducation surveillée de Belle-Île-en-Mer. Dans ce bagne d’enfants, les jeunes hommes âgés de 13 à 21 ans travaillent gratuitement dans un silence absolu, sous peine d’être mis au cachot. Matelotage, timonerie, voilerie ou sardinerie : ils connaissent les métiers de la mer sans jamais la voir, par-dessus les hauts murs d’enceinte de la « colonie pénitentiaire agricole et maritime », un type d’établissement créé au XIXe siècle pour enfermer les enfants « au vert » et les « redresser » grâce au labeur et au contact de la nature. Les conditions de vie y sont déplorables et les matons, cruels.
Inspirée de faits réels, la fiction de Priscille Lamure (diffusée dans Autant en emporte l’histoire sur France Inter) raconte la violence institutionnelle de la justice des mineurs qui a sévi en France jusqu’à la fin des années 1950. Dans le bagne de Manu, une révolte éclate et cinquante-cinq pupilles disparaissent dans la nature. Une chasse s’ensuit : appâtés par une prime de 20 francs offerte pour chaque fuyard capturé, policiers, habitants et touristes de l’île, armés de fourches et de fusils, les traquent tous jusqu’au dernier. Prévert dénonce à l’époque « la meute des honnêtes gens qui fait la chasse à l’enfant », rappelle l’historienne Véronique Blanchard, invitée de Stéphanie Duncan.
L’histoire aurait pu s’arrêter là si, cette même année 1934, Alexis Danan, journaliste à Paris-Soir, n’avait flairé le scandale d’État. Menant l’enquête dans plusieurs maisons de redressement pour mineurs, il dévoile les mauvais traitements infligés à des enfants parfois âgés de 4 ans, battus et affamés. Grâce au témoignage de Manu, Alexis Danan alerte l’opinion publique. S’opère alors un changement de paradigme : les enfants condamnés ne sont plus considérés comme de la vermine, mais comme les victimes d’un système archaïque. Pourtant, il faudra attendre février 1945 pour voir une ordonnance réformer la justice des mineurs, faisant primer l’éducation sur la répression. Cette ordonnance sera elle-même réformée à l’automne 2020.