«Tu seras un homme papa»: Gaël Leiblang met en ondes le deuil de son fils |
Si le terme «orphelin» désigne les enfants qui perdent leurs parents, il n'existe pas de mot pour celles et ceux qui font face au décès de leur progéniture. Ce néant lexical se traduit dans les espaces médiatique et personnel où ces récits se font rares. Gaël Leiblang a trouvé son propre langage pour narrer sa mise à l'épreuve.
«Puisque personne ne m'interrogeait car c'était intime, douloureux et tabou et qu'il n'y avait que ma femme et moi qui avons connu notre fils, j'ai voulu raconter sa vie pour qu'elle ne tombe pas dans le silence.» En 2014, sa femme accouche de leur troisième enfant, un garçon nommé Roman. Prématuré et atteint du syndrome Charge, une maladie génétique rare, ses parents vont l'accompagner pendant treize jours.
Être un champion
Son histoire, son père l'avait déjà retracée sur les planches lors d'un seul en scène qu'il a joué une centaine de fois, notamment au festival d'Avignon. «Au théâtre, il y avait une dimension physique très importante, se souvient Gaël Leiblang. Je voulais vraiment montrer le corps à l'épreuve de la douleur et sa résilience.» Il se souvient de la fatigue physique ressentie lors de cette période.
Le sport a toujours eu une place centrale pour cet ancien journaliste sportif devenu depuis producteur de documentaires. «Je l'ai beaucoup pratiqué et j'ai de la tendresse pour les champions comme Zidane ou Jordan et leur manière de s'accomplir.» Car un champion doit se relever. «Il faut aller plus loin que soi-même, je trouve ça fascinant.»
Ainsi dans le podcast, on entend des citations de sportifs et sportives de haut niveau mais aussi des archives d'émissions dédiées. Cette allégorie du sport suit le parcours de son narrateur. «J'allais très mal à l'époque, se souvient le quadragénaire. Quand j'entendais que l'écriture pouvait sauver des vies, je pensais que c'était des conneries alors que ce fut aussi mon cas.»
Du théâtre au son
Après l'avoir monté sur les planches, le producteur décide de travailler différemment ce récit pour l'adapter en podcast. «J'ai lu un article de Télérama sur Samuel Hirsch –réalisateur à Arte Radio–, je l'ai contacté et on a commencé à collaborer ensemble.» Il souhaite alors se réapproprier l'histoire de Roman. «C'est mon cheval de Troie, constate-t-il. Il me permet d'avancer dans des univers où je n'aurais pas eu le courage d'aller.» Il se lance alors sans se poser de questions.
Accompagné également par la réalisatrice Sabine Zovighian, il faut faire «rentrer d'autres voix» contrairement à la scène où il les interprétait toutes. On y retrouve celles d'acteurs et d'actrices mais aussi les voix de ses parents et de ses filles. «Dans l'autofiction, on peut emprunter des éléments du réel, explique la réalisatrice. Ça rend les choses plus authentiques.» C'est vrai que sans le savoir, les interventions des grands-parents sont particulièrement émouvantes.
Des messages contre l'oubli
Ce qui marque également dans Tu seras un homme papa, c'est l'intérprétation des textos. Celles et ceux qui ont déjà fait un passage à l'hôpital, en maternité ou encore en service de néonatalité notamment, savent que les messages de soutien des proches pleuvent dans ces moments-là. Si ce nouveau système d'échange est de plus en plus adapté au cinéma, dans les séries ou encore dans des podcasts, il est ici parfaitement intégré. «Ils étaient déjà présents dans la pièce, explique Gaël Leiblang. Ils permettent d'avancer dans la narration de manière plus fluide.»
Pendant ces treize jours, il en a reçu environ 1.000. «J'avais peur d'oublier, je voulais consigner tout ce qui s'était passé, notamment pour le raconter plus tard à mes filles.» Pour pallier cette angoisse de perdre l'enchaînement des événements –qui dans ces situations vont très vite–, il sauvegarde ce millier de messages sur lesquels il s'appuiera ensuite pour écrire son seul en scène. Avant de l'adapter en autofiction sonore, l'ancien journaliste avait justement publié ce récit de textos cette année dans la revue XXI.
Pudeur et puissance audios
Trois supports, trois manières différentes qui racontent la vie de Roman. En podcast, le résultat est plus doux. «J'allais mieux aussi à ce moment-là», note l'auteur. Et si au théâtre, il y a un partage collectif, l'écoute au casque transpose l'histoire au calme malgré son intensité. «J'ai fait beaucoup de coupes et on a utilisé des illustrations sonores pour prendre en charge la narration», explique Sabine Zovighian qui voit la fiction sonore comme une partition. Pour la réalisatrice, il n'y avait pas besoin de rajouter de l'empathie, ni de tomber dans le pathos.
Entre le théâtre et l'autofiction sonore, la durée a été divisée par deux. «Au-delà de trente minutes, il y a un risque de perdre les auditeurs», détaille Samuel Hirsch. Ce podcast regorge de matériaux sonores différents. «Il y a la voix très proche du narrateur, celles inscrites dans un espace comme les infirmières et les médecins, les textos lus par des personnes différentes et les archives sportives», détaille le réalisateur qui cale le rythme de «façon très instinctive». Écouter ce podcast, c'est partir à la rencontre d'une histoire vivante, remplie de reliefs, de contrastes et d'authenticité.