Sur France Culture, Jack Kerouac sur la route et au-delà |
En évitant le cliché du poète toxicomane, Stéphane Bonnefoi donne à comprendre, dans “Toute une vie”, qui était cet “ange fou” consumé par sa quête des mots.
Publié le 14 avril 2023 à 10h00
Mis à jour le 14 avril 2023 à 16h03
Été 1956. À l’époque, un simple sac à dos et le silence absolu suffisent. Jack Kerouac se réfugie, seul et fauché, sur le pic de la Désolation, dans le nord-ouest des États-Unis. Une soixantaine de jours pour profiter de la sérénité que lui offre sa cabane perchée au-dessus du lac Ross. Et tenter de calmer l’inquiétude qui le tourmente : Sur la route — son plus célèbre roman aujourd’hui — sera-t-il enfin publié ?
C’est avec l’évocation de ce havre de paix que s’ouvre ce Toute une vie consacré à l’écrivain. Pour France Culture, Stéphane Bonnefoi dresse le portrait d’un « homme rongé par l’ambition littéraire », s’appuyant sur « ce moment charnière » de 1956. « Je voulais sortir des poncifs sur le Kerouac toxico et la Beat generation, explique-t-il. Cette montée est un climax symbolique, elle représente le début de la fin pour lui : à ce moment-là, il n’a presque rien publié et est déjà complètement usé. »
Cette année-là, l’Américain a 34 ans et, en effet, un seul ouvrage imprimé et distribué à son actif (Avant la route, 1950), malgré une douzaine de romans terminés. C’est que Kerouac écrit depuis toujours. Né en 1922 dans une famille québécoise installée à Lowell, il signe dès 10 ans quelques petits romans. Au long de son adolescence, les bibliothèques sont un refuge. Il y lit La Vie de Jack London à 18 ans et, c’est certain, il deviendra écrivain.
Ce documentaire, soigné et complet grâce à ses intervenants (auteurs, journalistes, critiques…), donne à écouter les débuts d’une vie frénétique. Les nuits enflammées de New York, le jazz bouillonnant devenu un moteur d’écriture, puis la descente aux enfers d’un homme de lettres qui carbure à la musique, mais aussi à un mélange d’alcool et de drogue. Après sa tentative de « purification corporelle et spirituelle » sur le pic de la Désolation, Jack Kerouac devient le chef de file de la Beat generation, un mouvement littéraire « qui se démarque d’un intellectualisme trop rigide ». L’écrivain, mort en 1969, en sera le visage jusqu’à être surnommé King of the Beats. « C’était un chercheur : il a tout essayé, du poème au roman, aucun de ses livres ne ressemble à un autre, précise Stéphane Bonnefoi. Il ne s’est jamais contenté d’être un simple romancier. » Grâce à l’élégante lecture d’échanges épistolaires, cette heure fait revivre un « ange fou à la tête infinie, pleine de prose ». Si pleine qu’il n’aurait pu vivre sans : le travail littéraire, c’était « sa mission sur Terre ».