La littérature de voyage, une vision faussée ? |
Longtemps, le monde a été raconté par les explorateurs, marins ou commerçants qui le parcouraient. Une vision précieuse mais biaisée, que décrypte du 1er au 7 juin la série documentaire “LSD”, sur France Culture.
« Lorsqu’un voyageur se met à écrire, il exorcise la nostalgie qu’il éprouve pour un lieu qu’il a fréquenté, mais où il n’est pas resté. Ce qui fait que j’ai écrit sur l’Alaska, c’est que je ne suis pas resté dans le village où j’étais tombé amoureux d’une femme indienne. Ni au village esquimau de Shishmaref, où j’avais passé l’hiver. » Cette nostalgie est bien là, dans la voix d’Emeric Fisset, qui explique comment il est passé du voyage à l’écriture, après avoir entrepris cinq raids en solitaire de longue durée (dont le premier en Alaska, en 1990). Pour LSD, la série documentaire, sur France Culture, le producteur Arnaud Contreras s’intéresse à la littérature de voyage. « Aujourd’hui, nous voyons le monde à travers les journalistes, mais pendant des siècles il a été raconté par des aventuriers, des commerçants. »
Pierre Savorgnan de Brazza, qui donna son nom à la capitale de la République du Congo, était par exemple officier de marine et explorateur. Dans des carnets usés par les aléas du voyage et les accidents de pirogue, il retrace en détail sa rencontre, en 1880, avec le roi Illoy Ier et son peuple, les Tékés, établis sur un territoire allant du Gabon à la RDC actuelle… « Toutes ces aventures étaient racontées dans deux journaux de l’époque, Le Tour du monde et Le Journal des voyages, pour les faire connaître au plus grand monde, précise Isabelle Dion, directrice des Archives nationales d’outre-mer. Ces récits éveillaient l’imagination des lecteurs, mais les gravures ne correspondaient pas vraiment à la réalité. »
Justement, Arnaud Contreras interroge cette vision altérée – occidentale – dans l’un des épisodes de la série, consacré à la « décolonisation » de la littérature de voyage. Car « on lit dans ces récits, et jusqu’aux abords du XXe siècle, cette certitude qu’a l’Européen d’être supérieur parce que chrétien », explique la reporter Marie-Hélène Fraïssé. Aujourd’hui, l’histoire des migrations exceptée, les peuples se racontent davantage par eux-mêmes, se réjouit le producteur.
Mais l’œil du voyageur n’est pas le seul filtre déformant. Les filières de l’édition sont aussi appelées à se développer ailleurs qu’en Europe ou qu’en Amérique du Nord, car la littérature de voyage est fatalement soumise à la curiosité orientée et fluctuante d’un éditeur et de ses lecteurs. « Par exemple, poursuit Arnaud Contreras, lorsqu’on voyageait beaucoup au Maroc et en Tunisie il y a une quinzaine d’années, de nombreux livres sortaient sur le sujet. Ce n’est plus le cas. Des territoires peuvent ainsi disparaître de la “carte” des Français. » Ce documentaire vous donnera l’envie de les reconquérir.