Sur RCF, l’écrivaine Alice Zeniter part à la rencontre de détenus |
Véronique Macary accompagne la romancière lors d’une séance de lecture de son livre “L’Art de perdre” à la prison Bourg-en-Bresse. Un puzzle sonore d’un humanisme saisissant.
À quoi tient la magie d’un moment de radio ? À la convergence d’émotions. Un silence éloquent. Des mots prononcés à bout portant. Véronique Macary est de la trempe de ces artisans du son qui savent provoquer ces instants de grâce. Depuis septembre, son émission Livre comme l’air pousse la porte des prisons, sur RCF. La productrice capte les rencontres littéraires entre auteurs et détenus, organisées par l’association Lire pour en sortir. Elle propose des reportages où la lecture sert de passe-muraille.
À la prison de Bourg-en-Bresse, elle accompagne cette semaine Alice Zeniter, qui a publié L’Art de perdre. C’est la première fois que la romancière intervient derrière les barreaux. Passé les contrôles à l’entrée, la voilà projetée dans l’univers carcéral, des murs rehaussés de barbelé, une enfilade de couloirs, des portes à déverrouiller dans un bruit métallique de clés, comme si la prison se repliait chaque fois davantage sur ceux qui y pénètrent. C’est dans la salle de culte que l’attendent ses lecteurs, impatients. Pour eux ce sera Alice, elle ne tient pas à ce qu’on l’appelle madame.
L’un d’eux a écrit toute une liste de questions sur un papier qu’il chiffonne entre ses mains. Aziz connaît bien le contexte historique de la guerre d’Algérie, qu’elle met en scène dans son livre. Il veut savoir pourquoi l’autrice n’a pas demandé à consulter les archives sur sa propre famille, dont il est question entre ses lignes. « Je n’ai pas voulu démêler mes secrets par loyauté envers mes proches justement. Est-ce que j’aurais gagné quelque chose à hériter de traumatismes ? », interroge-t-elle, émue. Certains hochent la tête et approuvent. Les questions s’enchaînent avec délicatesse.
Véronique Macary parvient à capter l’intensité de ces échanges et les digressions qui ricochent sur le récit où chacun se projette. « C’est une bouffée d’oxygène », remercie Alexis quand vient la séance de dédicace. Car les détenus se racontent au-delà des pages : « La prison est comme une loupe, tout est plus intense. Mon micro crée au début de la réticence, puis devient très demandé ; si j’arrête les enregistrements, ils se sentent censurés. Donc je prends tout. » Son mixage est un puzzle sonore d’un humanisme saisissant, où elle a su capter ou déclencher des conversations. Qu’elle attrape en rafales, comme des instantanés en clair obscur.