Coronavirus : confinée et regroupée, France Bleu moins proche de ses auditeurs |
Pour assurer la protection sanitaire de ses équipes, la direction du réseau radiophonique local a décidé de réduire la voilure : seize éditions régionales au lieu des quarante-quatre locales habituelles. Un service public de proximité dégradé qui frustre auditeurs et salariés.
Ici, on parle d’ici. » Avec ses quarante-quatre stations locales et son slogan on ne peut plus clair, le réseau radiophonique de France Bleu incarne le service public de proximité. Mais depuis la deuxième semaine de confinement, les auditeurs des « Bleues » ont sans doute l’impression qu’on leur parle d’ailleurs. Pour protéger ses équipes, et dans la logique du plan de continuité activé dès mi-mars par Radio France, la direction a réorganisé son réseau la semaine dernière : fini les quarante-quatre éditions locales, remplacées par seize éditions régionales.
Concrètement, cela veut dire que l’offre éditoriale est regroupée, au lieu de se chiffrer à deux, trois, parfois quatre ou cinq par région. Ainsi, dans les Pays de la Loire, les stations du Mans, de Laval et de Nantes sont réunies pour proposer une antenne commune. L’information locale reste présente sur le numérique.
« Cette décision poursuit le double objectif de réduire drastiquement la présence de nos équipes dans les stations, afin de leur éviter un maximum de déplacements, d’accentuer l’étanchéité des mesures barrières, et de renforcer notre capacité à assurer notre mission de service public tout au long de cette crise, dont nous ne connaissons encore que les prémices, expliquait dans un communiqué diffusé lundi 30 mars le patron du réseau, Jean-Emmanuel Casalta. Il nous faut anticiper l’impact à venir de la pandémie et préserver les femmes et les hommes qui font France Bleu au quotidien. »
Dans la même logique que le réseau télévisé France 3 (passé de vingt-quatre éditions régionales à dix) ou que le quotidien Ouest-France (douze éditions au lieu de cinquante-trois en temps normal), France Bleu réduit la voilure pour limiter la présence de ses salariés dans les locaux, d’autant plus que certaines agences ont été touchées par le virus. « Maintenant que les désinfections ont eu lieu, et que nous sommes équipés en matériel pour travailler de chez nous, nous ne comprenons plus cette mesure de sécurité. On n’arrête pas de faire remonter à la direction que cette antenne est imbuvable pour nos auditeurs », s’agace une journaliste de France Bleu Belfort-Montbéliard, regroupée avec les stations de Besançon, Dijon et Auxerre.
Les lettres d’incompréhension et de frustration rédigées par les salariés ont afflué toute la semaine de tout l’Hexagone. À ce jour, nous en avons dénombré treize. « Nous demandons à reprendre au plus vite l’antenne locale en matinale, réclame la missive mancelle, qui s’inquiète de ne pouvoir informer correctement ses auditeurs. Comment la chargée d’accueil du Mans peut-elle renseigner l’auditeur au téléphone sur le producteur de légumes à côté de chez lui en Vendée, par exemple ? […] La population n’a jamais vécu dans un périmètre aussi restreint et nous n’avons jamais couvert une zone aussi large ! » À l’autre bout de la France, en Lorraine, on dénonce « la rupture du service public et l’effacement d’un territoire ». Et de rappeler : « Ici, on parle d’ici. Pas d’ailleurs. Nous vous demandons donc de rendre à nos auditeurs ce que nous leur devons. Car nous en avons encore, ici, la volonté, la force et les moyens. »
Comment couvrir l’actualité de dix départements d’habitude couverts par quatre locales ? Comment construire des journaux intéressants à la fois pour les habitants de l’Allier et de la Savoie, ou pour les Mayennais et les Nantais ? Compliqué. « On ne relaie presque plus l’actualité de notre département habituel, qui se résume à quelques minutes noyées dans trois heures de matinale », déplore une matinalière du Grand-Est, où quatre locales assurent l’antenne à tour de rôle.
Même malaise du côté de Belfort. « Personnellement, je n’ai jamais mis les pieds à Auxerre, comme beaucoup de mes auditeurs habituels, je pense. Difficile de couvrir une actu qui concerne l’autre bout de la région », fait remarquer une journaliste qui regrette que des informations importantes ne soient plus traitées à l’antenne. « Quand les usines parisiennes ont été préférées à celle de Peugeot à Sochaux pour fabriquer des masques, on n’en a pas parlé dans la matinale. Or c’est l’un des plus gros employeurs de Franche-Comté. »
Au standard, les auditeurs se plaignent, et ne reconnaissent plus leur radio. Certains, selon les journalistes que nous avons contactés, zappent vers d’autres ondes. « Le réseau France Bleu a toujours été très fort pour accompagner les auditeurs en temps de crise en proposant une véritable info de proximité, pendant des inondations, par exemple. Là, on les abandonne. On nous empêche de faire notre travail et c’est une vraie souffrance. On a le sentiment de faire de la mauvaise radio », confie une journaliste de France Bleu Drôme-Ardèche, regroupée avec quatre autres stations. Plus grave : dans certaines régions, la fin de l’info de proximité semble freiner l’interactivité. Dans le Grand Est, « on n’entend plus un seul auditeur à l’antenne avant 9 heures. Les gens n’ont pas pris le réflexe d’appeler le nouveau numéro régional commun. Avant le regroupement, on passait la matinale à prendre les questions des gens… On leur dictait même l’attestation dérogatoire de sortie au téléphone, car certains n’ont pas Internet. »
Alors que les émissions humoristiques d’Inter et la matinale de France Culture ont repris cette semaine, la direction de Radio France a redit aux élus qu’elle était sûre de son choix. Contacté, le patron de France Bleu Jean-Emmanuel Casalta n’a pas souhaité répondre à nos questions. Il a toutefois fait savoir par son service communication qu’il comprend l’envie de reprendre l’antenne, mais que la priorité reste de « mettre les équipes à l’abri ».
« Au début du confinement, le télétravail était compliqué, on bricolait avec des logiciels de montage gratuits, mais maintenant qu’on est équipés, on a toutes les capacités de faire une bonne matinale locale. De chez nous ou en studio, en respectant les gestes barrières », assure une journaliste qui demande comme d’autres que les regroupements soient limités à deux locales et non pas trois, quatre ou cinq. Une pétition est en ligne. Le réseau a de son côté sélectionné sept reporters volontaires pour continuer à travailler sur le terrain.