Podcast : sur les traces d’un bourreau du régime syrien |
Lena Bjurström et Brice Andlauer retracent en dix épisodes, publiés sur Les Jours, le parcours du colonel Anwar Raslan, ancien responsable de la sécurité intérieure syrienne, accusé de crimes contre l’humanité, actes de tortures et viol. Une passionnante enquête sur “l’enquête”.
Certains le voient comme un bourreau monstrueux, d’autres comme le simple maillon d’un système. Le colonel Anwar Raslan, ancien responsable de la sécurité intérieure syrienne et d’une prison de Damas, a été arrêté en Allemagne en 2019. Son procès – ainsi que celui d’autres hauts gradés du régime – a débuté le 23 avril 2020 à Coblence. Raslan est visé par cinquante-huit chefs d’accusation, dont des crimes contre l’humanité, actes de tortures et viol. Qu’il nie avoir commis.
En dix épisodes, le podcast Colonel Raslan, la traque d’un bourreau propose une « enquête sur une enquête ». Celle qu’a menée, pendant plus de huit mois, la journaliste Lena Bjurström à travers l’Europe pour le site d’information Les Jours, sur les traces d’Anwar Raslan. Son collègue Brice Andlauer l’a suivie, micro à la main, pour enregistrer cette enquête internationale. Dès le premier épisode, la tâche paraît ardue : on sait peu de choses de Raslan. Il aurait fait défection par opportunisme, estime un témoin, ou par fierté, pour le seul journaliste à l’avoir interviewé. S’il n’est pas un agent double au service du régime syrien…
Les rouages de la justice internationale
La personnalité trouble du prévenu est au cœur du podcast. « C’est une enquête qui s’intéresse à la fois à un homme et sa trajectoire, mais aussi à travers lui au système dont il a fait partie – et contre lequel tant de personnes se battent », résume Lena Bjurström dans le prologue. Colonel Raslan permet de découvrir les rouages de la justice internationale, et soulève des questions essentielles sur la responsabilité des auteurs de crimes de masse.
Pour cela, Brice Andlauer nous donne à entendre des témoignages de victimes, des interviews de défenseurs des droits, ou de magistrats, gendarmes et avocats spécialistes des crimes contre l’humanité… On découvre les « chasseurs de preuves », des personnes qui risquent leur vie pour exfiltrer de Syrie des documents pouvant servir de preuves dans de tels procès. Dans l’épisode 5, les journalistes se rendent au très confidentiel centre d’archives de la Commission pour la justice internationale et la responsabilité (Cija), qui conserve ces preuves. On entend aussi Lena Bjurström, l’enquêtrice, dans sa recherche de vérité : elle confronte les avis, elle hésite, elle doute.
Une enquête rigoureuse et passionnante
Les éléments de reportage et les interviews sont entrecoupés de conversations entre les deux journalistes, qui détaillent le fonctionnement de la justice pénale internationale, la genèse de la révolution ou le système de répression du régime syrien. Brice Andlauer se fait volontairement naïf dans ces moments. « Pour synthétiser des choses très, très complexes, la naïveté est très utile, explique-t-il. J’essaye de poser les questions que les gens se posent en écoutant. »
Le documentaire est finement réalisé, l’habillage sonore accompagne efficacement le récit, même si la musique, signée par le compositeur Yannis Dumoutiers, est parfois très présente. Les producteurs se sont appuyés sur des documents sonores de l’INA, précise Brice Andlauer : « On ne voulait pas mettre des ambiances prétextes, prendre un son de rue du Liban pour la Syrie… On parle d’une révolution qui a eu lieu il y a dix ans. Pour beaucoup de monde, c’est passé par les médias, la radio, les annonces de JT... »
Colonel Raslan est une enquête rigoureuse, instructive et passionnante. Elle est souvent difficile à entendre – on ne recommandera pas de tout écouter à la suite. L’épisode 2, « Branche 251 », qui recueille des témoignages d’anciens prisonniers, est d’ailleurs assorti d’un avertissement. « On s’est rendu au procès avant d’avoir enregistré les témoignages des victimes, raconte Brice Andlauer. Il y avait une évidence : il fallait tout de suite mettre en face de Raslan [présenté dans l’épisode 1, ndlr] la réalité de ce que les gens ont vécu. »
À la fin de ces dix épisodes, il faut prendre un temps pour digérer tout ce qu’on a entendu. « Pour qui n’a pas subi ça, c’est complètement inimaginable, et ça ne se résume pas. Tout ce qu’on peut faire, c’est écouter, recueillir leur parole, la confronter à d’autres, et transmettre ces bouts de récits les uns après les autres ensemble pour essayer de raconter ce qui s’est passé par la somme de toutes ces histoires-là », annonce Lena Bjurström dans le premier épisode. Mission accomplie.