Sexisme et harcèlement sexuel dans l’audiovisuel : y a-t-il vraiment eu des progrès depuis #MeToo ? |
Alors que l’association Prenons la Une organise, ce samedi 13 avril, les premiers Etats Généraux des femmes journalistes, nous avons voulu savoir si la révolution #MeToo avait réussi à atteindre l’audiovisuel français. Les entreprises sont-elles devenues plus vertueuses avec les femmes ? Savent-elles mieux les écouter ?
Avait-on déjà constaté pareille excitation devant la porte-tambour du ministère de la Culture que ce 13 mars au matin ? Sous les arcades bondées du Palais-Royal, une nuée d’hôtesses se dépêchaient d’arracher au froid vif qui sévissait alors, patrons de chaînes, dirigeants de sociétés de production, journalistes, et autres attachés de presse. Quelques minutes plus tard, le ministre de la Culture Franck Riester supervisait la signature d’une charte destinée à lutter contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes dans les entreprises de l’audiovisuel. Elaboré par l’association Pour les femmes dans les médias (PFDM), dont aucune action n’avait jamais connu tel retentissement, ce texte n’est pas contraignant. Il propose seulement à ses signataires de promettre, la main sur le coeur et sans frais supplémentaire, que les sociétés qu’ils dirigent respectent les lois en la matière — et le fassent savoir.
Dans l’air flottait le souvenir récent d’articles faisant état, dans deux rédactions différentes (Europe 1 et RMC Sport), de cas de harcèlement en cours de traitement, ou réglé. Pas question d’y faire la moindre allusion : l’ambiance était à l’autosatisfaction, pas à la flagellation.
Pas question non plus, pour l’ensemble des dirigeants présents, d’admettre que leurs antennes manquent encore cruellement de figures féminines. La dernière étude sur le sujet pourtant, publiée sur la plateforme de l’observatoire de la parité dans la presse Press’Edd, datait de moins d’une semaine. Elle constatait que parmi les 1 000 personnalités les plus médiatisées dans la presse en 2018, seules 15,3 % étaient des femmes… Le pire score depuis 5 ans. A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, le CSA et l’INA n’avaient pas non plus trouvé de quoi féliciter les médias français en matière de représentation des femmes sur leurs antennes. Prétendre sincèrement lutter contre les violences faites aux femmes et les traiter comme quantité négligeable, contribuant ainsi à leur infériorisation, relève-t-il d’une attitude cohérente ? « Voir Untel signer la charte alors qu’il n’arrête pas de débiter des blagues sexistes, ça me rend dingue », nous confiait un confrère consterné. « Qu’il y ait de l’opportunisme chez certains signataires ? Evidemment ! » reconnaissait d’ailleurs la veille au téléphone, non sans en rire jaune, Françoise Laborde, l’une des fondatrices de l’APFM. L’hypocrisie vaudrait-elle mieux que l’indifférence?
Action ou dissimulation ?
« Désormais, il y a un texte écrit, se félicite Marie-Anne Bernard, responsable de la direction de la responsabilité sociétale et environnementale de France Télévisions depuis 2011. Si des cas de harcèlements ou d’agressions sexuels sont avérés dans leurs entreprises, les signataires auront un peu de mal à mettre le couvercle dessus ». Vraiment ? Peu de temps après notre échange, Le Monde, Libération et L’Express se sont fait l’écho d’un licenciement et de deux mises à pieds à Franceinfo.fr pour des comportements sexistes ou inappropriés, pénalement qualifiables (pour certains) d’agressions sexuelles. Des faits dont l’entreprise aurait été informée « depuis plusieurs mois », selon des témoins et le SNJ. « A croire que seule la peur du scandale a provoqué la fin de l’omerta », soulignait le syndicat dans un communiqué.
Cette omerta a effectivement la peau dure. En mettant en place des dispositifs type « cellule harcèlement », « on donne l’impression de libérer la parole, ajoute Serge Cimino, secrétaire général adjoint du Syndicat national des journalistes (SNJ) à France Télévisions. Mais c’est aussi un bon moyen pour faire en sorte que les affaires ne s’ébruitent pas, dans un triste jeu du juge et partie. » Non seulement l’entreprise craint l’émoi qu’elles soulèvent, mais celles-ci font apparaître au grand jour la négligence, ou la complicité, dont ont fait preuve « ceux qui savaient, et qui n’ont rien dit » (l’anonymat des personnes incriminées doit, lui, être respecté). Au nom de la cohésion des équipes, le silence est jugé préférable, alors qu’en prouvant sa « tolérance zéro », l’entreprise ferait acte de prévention : les uns se sentiraient sous surveillance, et les autres en sécurité…
En attendant, une enquête de Prenons la Une et du collectif #Noustoutes menée en mars sur Twitter, indiquait que 67 % des journalistes avaient déjà été victimes de propos sexistes, et 13 % d’agressions sexuelles. Dans 83 % des cas, ces personnes n’en avaient pas fait part à leur direction ou à leurs responsables des ressources humaines ; quand elles l’avaient fait, il n’y avait pas eu de conséquences deux fois sur trois ! Auteure du livre Harcelées (Ed. Plon), Astrid de Villaines ironise : « Je ne compte pas le nombre de patrons, rencontrés lors de mon enquête, qui m’ont dit : “ma porte est ouverte, or personne ne se plaint jamais de rien”. Mais qui a envie de s’entendre répondre “oh il ne faut pas exagérer, tu le connais, le pauvre...” ? » A la télé ou la radio comme ailleurs, l’adage est hélas encore trop bien connu : quand il y a main aux fesses, il n’y a pas mort d’homme…
Que faire ?
Fin 2017, dans les semaines et les mois qui ont suivi la révolution #MeToo outre-Atlantique, deux journalistes avaient déposé plainte pour harcèlement et agressions sexuelles survenues pour l’une à France 2, pour l’autre à La Chaîne Parlementaire. La première, qui visait un ancien directeur de la rédaction de France 2, Eric Monier (aujourd’hui à TF1), avait été classée sans suite pour cause de prescription ; la seconde avait valu au chroniqueur politique Frédéric Haziza un simple rappel à la loi. Ni l’un (qui avait quitté France Télévisions plusieurs mois avant la plainte) ni l’autre, dont l’émission a été supprimée, n’ont donc quitté leur poste à cause de leur comportement. Depuis pourtant, les entreprises semblent avoir pris conscience qu’elles doivent travailler sur les mentalités et agissements qui, désormais, « ne passent plus ». Formations sur le harcèlement, sensibilisation aux stéréotypes sexistes, conférences, remise de rapports au Conseil supérieur de l’audiovisuel, publication de l’index de l’égalité salariale du ministère du travail, labels diversité et égalité de l’Afnor... « Ceux-ci obligent à dresser un état des lieux, mettre des outils en place et se fixer des objectifs, souligne Marie-Anne Bernard à France Télévisions. Si, depuis 2012, on a pu avancer sur ces questions, c’est parce que de vraies politiques publiques ont été mises en place. Sans elles, on n’aurait pas progressé ».
Un code de bonne conduite
Un producteur nous avait récemment confié surveiller comme le lait sur le feu un comédien réputé peu élégant envers les femmes. La nouvelle charte suffira-t-elle à éviter les comportements déplacés ? Le 13 mars, au ministère, un rapide sondage mené autour de nous semblait indiquer que personne n’envisageait vraiment de l’afficher dans ses couloirs, bureaux, ou plateaux de tournage, doutant de son efficacité. Le volontarisme pourrait pourtant avoir du bon : depuis qu’elle a été rachetée par le groupe britannique ITV par exemple, la société de production Tetramedia a été obligée d’adopter le code de bonne conduite que chaque salarié, permanent ou intermittent, est prié de respecter (après intégration dans le règlement intérieur de l’entreprise). Outre qu’il rappelle quelques règles en matière de corruption et de lutte contre l’esclavage moderne, explique le secrétaire général de Tetramedia Rodolphe Choisy, le code de bonne conduite oblige à une formation en ligne annuelle sur le harcèlement et les agissements sexistes, et un numéro vert relié à un organisme extérieur au groupe (et non à la RH de l’entreprise) a été mis en place. « Etre irréprochable sur ces questions constitue un enjeu d’image pour ITV », société coté en bourse, insiste Rodolphe Choisy, qui pense que « la règle est suffisamment claire et partagée pour que, si elle n’était pas respectée, cela ne soit pas tu ».
En France, les entreprises n’en sont pas encore à communiquer sur les sanctions qu’elles sont amenées à prendre, loin s’en faut. Mais, par volonté réelle ou sous la pression de l’époque, on s’organise. France Télévisions comme Radio France ont mis en place un dispositif d’écoute destiné à faciliter le recueil de la parole des victimes. Idem à TF1 (Allô Discrim’ renvoie à un organisme extérieur), et l’on se félicite en outre de « l’égalité parfaite » dans les salaires de l’ensemble des filières infos — « le haut management » mis à part. Dans le groupe Canal, on parle d’une « ambition forte pour 2019 » et d’un prochain plan d’action. Pour l’instant, la pression des salariés reste nécessaire. A l’automne, la direction de RMC Sport a renoncé à la ré-embauche d’un ancien de la maison lorsque 60 journalistes ont signé une pétition dans laquelle ils disaient n’avoir « pas oublié les agissements sexistes et propos très déplacés envers ses consoeurs » lorsque ce dernier était leur collègue… Même s’il a fallu en passer par cette levée de boucliers et la menace d’une médiatisation, l’équipe rédactionnelle a, in fine, été écoutée. En février, lorsqu’ont été révélés les agissements de la #LigueduLOL, les journalistes qui s’étaient rendus coupables de cyberharcèlement ont rapidement été mis à pied ou licenciés de leurs rédactions respectives. A Franceinfo.fr enfin, une personne a été licenciée tandis que, pour la première fois, deux membres de la hiérarchie ont également été mis à pied pour avoir laissé le salarié agir sans intervenir… (suite à de nouvelles révélations dans la presse, l’enquête interne a repris depuis).
La crainte du retour de bâton
Petit pas après petit pas, la situation est-elle en passe de s’améliorer ? Alors que la plainte d’Anne Saurat-Dubois contre Eric Monier a été classée pour prescription, la journaliste aujourd’hui à BFMTV a récolté à son tour une plainte pour dénonciation calomnieuse, de la part de celui qu’elle avait accusé — discrètement classée sans suite. Pas de quoi intimider la journaliste pour autant : « Il faut dire aux femmes de parler, quoi qu’il arrive, insiste-t-elle. Quand je l’ai fait, j’ai été surprise par l’ampleur des réactions positives et des marques de soutien que j’ai reçues. Ça m’a fait chaud au coeur ». Après qu’elle a quitté La Chaîne Parlementaire parce que son agresseur y travaillait toujours, sa consœur Astrid de Villaines, engagée dans la rédaction de son ouvrage, n’a pas retrouvé de CDI. « On me demande souvent si je suis blacklistée, reconnaît-elle. Je n’en ai pas l’impression, mais en fait, je n’en sais rien ». Fière d’avoir posé un acte fort en déposant plainte, la jeune femme voudrait se réjouir mais reste vigilante. « Avant #MeToo, le sexisme ne se disait pas, donc on peut aujourd’hui parler d’avancée. Mais j’ai peur que cette prise de conscience ne soit encore que de surface ».
Celles qui dénoncent des actes subis sont encore trop souvent qualifiées de « compliquées » (comme si on leur reprochait de ne pas avoir gardé le silence), tandis que les actes répréhensibles sont encore trop souvent minimisés. « J’appelle ça le syndrome Jacques Glassman [le joueur valenciennois qui avait révélé l’affaire de corruption dite VA-OM, ndlr] appuie Serge Cimino, à France TV. C’est celui qui dénonce qui ne joue plus au foot ». Lui aussi craint que la fenêtre de libération de la parole ne se referme, et que, précarité du métier aidant, les femmes ne se sentent pas assez soutenues alors que les rapports de domination ne changent pas. Sans une surveillance stricte au sein des entreprises et le recours à la loi, la tendance ne s’inversera pas. Les petits pas, pourquoi pas, mais il y a encore tout un escalier à monter.
Etats Généraux du journalisme au féminin, Centre des congrès de la Cité des sciences et de l’industrie, 30 avenue Corentin Cariou, Paris 19e. Entrée : 5 €.