Sur Mediapart, “Un micro au tribunal” dénonce une justice expéditive |
Pour sa première série de podcasts, Mediapart s’est immergé deux ans durant dans les tribunaux de Pontoise et Nanterre. Une enquête saisissante.
Mediapart s’est illustré à maintes reprises en révélant des enregistrements compromettants, dans les affaires Benalla, Bettencourt ou Cahuzac. On se réjouit de tendre désormais l’oreille à ses podcasts. Pour la toute première série du média, Un micro au tribunal, on ne sera pas surpris de retrouver à la barre la journaliste d’investigation Pascale Pascariello, remarquée pour ses enquêtes sur le désastre sanitaire de Fos-sur-Mer (Les pieds sur terre, France Culture), le retraitement des déchets gangrené par la criminalité organisée en Europe, ou même sa série Les braqueurs (Arte radio). Autant de sujets sur lesquels la productrice obtient une parole rare, parfois grâce à une délicatesse désarmante.
Faibles moyens
Cette fois, cette quadragénaire obstinée est parvenue à pousser la porte des huis clos des tribunaux de grande instance à Pontoise et Nanterre. Un reportage inédit de deux ans enregistrant des audiences au pénal, chez les mineurs et les majeurs, en comparution immédiate, au civil, avec les suivis de mise sous tutelle, les saisies sur rémunération… Une durée d’enquête exceptionnelle pour explorer les rouages grippés d’une justice étranglée faute de moyens : la France est parmi les pays européens qui consacrent un des plus faibles budgets à leur justice, avec 65 euros par habitant – contre 79 euros en Espagne ou 121 euros en Allemagne (chiffres de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice en octobre 2018).
Procédures bâclées, dossiers décisifs perdus, magistrats débordés… « Cette immersion permet de montrer une justice démunie, expéditive et violente, résume la journaliste. Lors d’une comparution immédiate par exemple, alors qu’un des prévenus, maniant mal le français, ne parvient pas à expliquer où il habite, la procureure se moque de lui. Ses rires résonnent dans la salle d’audience. C’est un des moments glaçants de la série. »
Comme un couperet
Outre ces dérapages condescendants, des condamnations inadaptées au contexte des prévenus brisent des vies. Comme dans le premier épisode, où Sarah, 18 ans, est jugée pour une affaire de trafic de stupéfiants. Elle avait 16 ans au moment des faits et dormait dans les issues de secours du métro à Châtelet pour échapper à une mère violente. L’adolescente a alors deux options pour survivre dans la rue : la prostitution ou le deal. Elle opte pour la drogue et se fait embarquer au bout de deux semaines. Au micro, elle explique que la peur lui a enseigné le courage de se battre. Son éducatrice acquiesce et la couve du regard. Sarah a commencé des recherches d’emploi pour louer un appartement et pouvoir assurer la tutelle de son petit frère – toujours chez leur mère malgré les démarches entamées par la justice pour le mettre en sécurité dans un foyer. Sarah est confiante. Sa vie est devant elle pendant encore quelques minutes fragiles. Son avocat commis d’office entame une formidable plaidoirie, loue sa maturité et son courage depuis l’enfance. Il demande la poursuite de l’encadrement éducatif ainsi qu’une mise sous protection judiciaire pour deux ans – afin de soutenir l’insertion personnelle et professionnelle de la jeune femme.
Sourd à son plaidoyer et aux perspectives d’avenir pour la jeune majeure, le tribunal la déclare coupable des faits et la condamne à une peine de deux mois d’emprisonnement avec sursis assortie d’une mise à l’épreuve de dix-huit mois. Sarah s’effondre. Pour l’éducatrice abasourdie, l’accompagnement s’arrête net, balayé sur une décision de justice. Sarah est de nouveau seule face à un monde sans issue. Un an après, qu’est-elle devenue ? Pascale Pascariello raconte, sans se mettre en scène ni prendre parti : « Elle a retrouvé la rue avec pour seul refuge un hall de gare. Entre-temps, son avocat a fait appel. Quand elle s’est présentée à l’audience avec deux sacs en plastique pour tout bagage, les juges se sont décidés à annuler la peine et à la mettre sous protection judiciaire pendant un an. Depuis, son éducatrice tente de renouer avec elle. » Mais Sarah n’est plus la même. Les juges sont passés à côté de son parcours, et elle à côté de sa vie, celle à laquelle elle s’accrochait dans un dernier sursaut de confiance en la justice.