Bruit blanc, son immersif, ondes lentes : Thomas Andrillon de l’Institut du Cerveau raconte ses recherches |
Le succès des chaînes de musiques chill et ambient comme lofi girl, des vidéos d’ASMR sur les réseaux sociaux, de l’écoute de musique classique pour des enfants en bas âge, ou encore des gadgets pour dormir interrogent la façon dont les stimuli sonores influencent notre conscience, notre sommeil et nos capacités d’apprentissage.
Rencontre avec Thomas Andrillon, chercheur à l’Institut du Cerveau, et spécialiste de la formation des souvenirs auditifs, de l’impact des sons sur le sommeil et sur l’apprentissage.

Neurosciences : ensemble des recherches scientifiques sur le système nerveux, c’est-à-dire le cerveau, la moelle épinière et les nerfs. Bruit blanc : mélange équilibré de couleurs, est composé de toutes les fréquences audibles. Son immersif : utilisation des sources de sons multicanales, placées tout autour de l’auditeur, afin de reconstituer un environnement en 3D. Vous trouverez plusieurs exemples de sons par ici. Sommeil à ondes lentes : phase du sommeil divisée en trois stades se caractérisant par une activité cérébrale de plus en plus lente et une réduction progressive de la fréquence cardiaque, de la respiration et de la température corporelle. Conscience transitive : conscience qui a toujours un objet : elle se rapporte aux états mentaux qui constituent, à un moment donné, les contenus de l’expérience subjective que je fais du monde, de moi-même et des autres. Sonification : représentation et l’émission de données sous forme de signaux acoustiques non verbaux aux fins de la transmission ou de la perception d’information. |
Le bruit blanc pour étudier notre rapport à l’apprentissage pendant le sommeil
« Comment un cerveau composé de cellules parvient-il à produire des choses complètement immatérielles comme des pensées ou des émotions ? », me raconte Thomas Andrillon, en évoquant les premières interrogations qui ont nourri son intérêt pour la question de la conscience. Mais pas au sens de conscience transitive, celle que l’on expérimente lorsque l’on est pleinement conscient de quelque chose, comme quand on vous montre une image et qu’on vous demande de l’analyser. Il s’agit plutôt d’imaginer la conscience comme une question d’état, ce qui permet d’étudier le sommeil comme une modulation naturelle de l’état de conscience : « lorsque j’ai commencé à étudier cette question, il y avait cette idée que le sommeil, c’est simple : soit on n’est pas conscient du tout, soit on est conscient de quelque chose mais qui n’a rien à voir avec l’éveil. Mais dans les deux cas, on est isolé du monde. Cette vision de la littérature scientifique était en contradiction avec des observations quotidiennes où, parfois, les gens dorment et semblent traiter des informations de leur environnement. On a alors décidé d’étudier cela en faisant des expériences avec des sons », explique-il.
L’étude publiée dans la revue Nature Communications en 2017, à laquelle Thomas Andrillon a contribué, confirme l’hypothèse selon laquelle un individu endormi est capable de traiter des informations auditives et cognitives. Dans celle-ci, les chercheurs ont diffusé du bruit blanc à des participants endormis car « c’est un stimulus complexe qui n’a pas de signification particulière pour l’individu », tout en s’interrogeant si celui-ci ne pouvait pas être mémorisé « puisque l’on sait que répéter du bruit blanc de façon continue induit des processus de plasticité au niveau cérébral, et donc un apprentissage », complète Thomas Andrillon. Ces bruits, diffusés à l’éveil, puis pendant le sommeil, révèlent des signes de performance cognitive chez les participants, indiquant ainsi un processus d’apprentissage.
La recherche pourrait-elle nous permettre d’apprendre tout en dormant ? Plusieurs études ont ainsi révélé la possibilité de mémoriser des mots japonais ou de diminuer son addiction au tabac depuis son lit. Mais « toutes les phases de sommeil ne sont pas propices à l’apprentissage. Si le sommeil lent-léger ou le sommeil paradoxal semblent favoriser un apprentissage, des phases de sommeil plus profond suggèrent l’inverse »

Si les résultats démontrent que l’apprentissage pendant le sommeil est possible, cela n’automatise pas les applications dans la vie réelle et à grande échelle pour autant : coût élevé du matériel, expérience des participants perturbée dans un cadre de laboratoire, effets relativement faibles aujourd’hui. Malgré les avancées, Thomas Andrillon rappelle que « bien dormir », laisser « le cerveau faire plein de choses importantes » et « réserver l’apprentissage pour les phases d’éveil où nous avons beaucoup plus de capacités cognitives » reste essentiel.
C’est peut-être même par cette forme de “simplicité” dans l’apprentissage pendant le sommeil, que les résultats pourraient être les plus bénéfiques dans certaines situations de traitement thérapeutique : « dans certains cas de figure et avec le consentement [des participants], cela peut être intéressant pour lutter contre les addictions et les phobies », imagine Thomas Andrillon.
Des gadgets pour s’endormir jusqu’au son immersif : de nouveaux axes de recherche pour optimiser la qualité de nos nuits
La quête d’une certaine optimisation du sommeil passe aussi par l’essor des gadgets. Bien que cela illustre la nouvelle marchandisation du sommeil et du bien-être, ce n’est forcément pas une mauvaise chose : « dans la civilisation occidentale, on peut avoir un rapport au sommeil qui est un peu particulier. Vous avez pas mal de philosophes de l’Antiquité qui avaient une vision du sommeil assez exécrable : les gens qui dorment sont des fainéants, etc. On a encore ce côté « moins on dort, mieux c’est », avec cette glorification des petits dormeurs. […] donc c’est bien si les gens se posent la question est-ce que je dors bien et est-ce que je pourrais pas améliorer ma vie éveillée en dormant mieux ».
Parmi les nombreuses tentatives visant à percer les mystères de notre cerveau, l’une des approches de Thomas Andrillon est d’explorer le son immersif : « quelque chose qui m’intéresse […] c’est la sonification de l’état physiologique d’un individu. Par sonification, on entend la conversion en musique de notre rythme cardiaque, notre respiration, notre activité cérébrale, car ce sont des choses qui peuvent être relativement relaxantes ».
Les fréquences musicales sont déjà étudiées et utilisées pour le traitement de notre cerveau. L’objectif de Thomas Andrillon est de reconstituer notre activité cérébrale en temps réel afin d’aider les personnes ayant des troubles du sommeil : « on pourrait s’entendre un peu mieux soi-même via de la musique. […] Et donc on pourrait les aider comme ça à faciliter cette attention sur soi et donc à atteindre tous les effets bénéfiques comme la relaxation et le sommeil. […] j’espère pouvoir y apporter un jour l’aspect neuroscientifique pour avoir quelque chose qui fonctionne mieux », complète t-il.

Audio et sommeil : quels enjeux dans l’avenir de la recherche ?
Pour atteindre ces objectifs, Thomas Andrillon collabore avec Lullabyte, un réseau regroupant des doctorants européens spécialisés dans différents domaines de recherche autour de la musique, comme la musicologie, les neurosciences, le sommeil ou l’informatique.
En unissant leurs expertises, ces chercheurs souhaitent faire évoluer la recherche et créer de nouveaux outils pour traiter les troubles du sommeil, en explorant notamment le « retour sur l’activité du cerveau en temps réel » ou « les ondes lentes, produites dans certaines phases de sommeil, et que l’on peut renforcer via des sons afin d’avoir un sommeil plus profond et plus réparateur ».
De façon plus globale, c’est l’énigme qui réside autour notre perception de la musique qui interroge les futurs projets de recherche de Lullabyte : un cerveau endormi auquel nous ferions écouter du Mozart, entendrait-il du Mozart ou simplement une succession de sons sans interprétation musicale ?
Tout en espérant apporter un nouvel éclairage sur ces questions encore irrésolues, Thomas Andrillon poursuit ses projets de recherche à l’Institut du Cerveau autour du sommeil. Un axe central dans l’identification de certaines maladies neurologiques et psychiatriques en amont d’autres signes de perturbation du comportement ou des fonctions cognitives. Mais à l’Institut du Cerveau, c’est « presque 1000 personnes avec différents axes de recherche, mais avec un but commun : mieux diagnostiquer et mieux traiter les maladies neurologiques ». Et surtout : « trouver de nouveaux traitements pour des maladies qui, malheureusement, n’en ont pas encore ».
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