Podcast : “Le Chat du rabbin” version audio sur France Culture |
Les enregistrements radio de la BD de Joann Sfar ne manquent pas de sel. Un défi relevé par Rufus, dans le rôle du rabbin, et une centaine de comédiens. À écouter en podcast sur le site de France Culture.
« Patrick, tu nous fais une girafe qui broute des feuilles ? – Ah non, c'est le seul animal qui ne fait pas de bruit en mangeant ! » Dans le studio 111 de France Culture, l'échange semble incongru. Pourtant, Cédric Aussir, réalisateur, et Patrick Martinache, bruiteur, sont tout à fait sérieux : les deux hommes fabriquent l'adaptation radiophonique du Chat du rabbin, une série de bandes dessinées de Joann Sfar (1) (qu'il a lui-même adaptée en film d'animation).
Soit l'histoire piquante et profonde d'un matou parlant, désireux de faire sa bar-mitsva. Campée par le comédien Jonathan Cohen, l'étonnante bestiole se met en tête d'étudier les textes sacrés, mène de longs entretiens philosophiques avec son maître, et s'amourache de la fille de ce dernier, la sensuelle Zlabya…
Pour boucler les dix épisodes (d'environ vingt-cinq minutes chacun), le réalisateur s'appuie sur un scénario de Katell Guillou, mais sans perdre de vue sa matière première : dès qu'un doute surgit, il fouille l'intégrale des albums, à la recherche de la scène en cours. Il s'agit présentement d'un passage comportant une autochenille, en Afrique. « Le moteur fera du bruit, il y aura des cris de bêtes, lance Cédric Aussir à la demi-douzaine d'acteurs qui s'agglutinent autour des micros. Parlez fort ! »
Astuces de bruiteur
Puisque Rufus, qui incarne le rabbin, s'interroge sur la place qu'il occupe dans la voiture, le réalisateur vérifie ce point ; puis précise la situation, telle qu'elle a été dessinée dans la BD : « C'est toi qui conduis, tu es donc à gauche ! » Le bruiteur, lui, manie une petite baignoire emplie d'eau, posée sur du gravier, ainsi qu'un meuble en bois à roulettes. Il secoue le tout pour figurer des bringuebalements.
Les péripéties s'enchaînent avec rapidité, seules quelques prises sont nécessaires à chaque fois. Une prononciation est rectifiée (l'interprète du félin s'entête à prononcer le mot « cheikh » à la manière d'un « tchèque »), une nuance apportée (« Tu râles trop, parle plus doucement, en essayant de rendre le texte savoureux, et n'oublie pas que le chat est ton confident », conseille le réalisateur au faux rabbin).
« Jouer de cette façon n'est pas évident, souligne l'enthousiaste Rufus. Jonathan et moi devons nous placer côte à côte, et dialoguer en regardant le même micro. » Au moment d'enregistrer la rencontre entre Tintin et le rabbin, des rires secouent l'équipe : Rufus est censé observer… la toilette du reporter en pleine brousse. « Mais comment vais-je jouer ça ? Ça va être un sacré spectacle ! » Et le voilà mimant la sortie d'une tente au petit matin, tandis que Patrick Martinache froisse bruyamment un grand tissu…
Quelques minutes plus tard, nouvelle scène et ambiance transformée : deux protagonistes amoureux, un peintre (Leonid Glushchenko) et une serveuse (Daphné Biiga-Nwanak) se susurrent des mots tendres. Comme son personnage, l'interprète du barbouilleur est russe, et propose de chantonner une ballade sentimentale de son pays. Initiative acceptée avec enthousiasme par le réalisateur. Il pousse ses ouailles à plus d'intimité : « Serrez-vous l'un contre l'autre, timbrez davantage votre voix, et donnez-vous un baiser sur la main à la fin, pour faire croire que vous vous embrassez… » Quelques gloussements et regards gênés plus loin, ces moments langoureux sont dans la boîte.
Mais comment trouver le rythme idéal lorsqu'on passe d'un art graphique, où l'ellipse règne, à un médium exclusivement sonore, qui nécessite d'être bien plus explicite ? « En BD, la case fige la narration d'une manière précise, explique Cédric Aussir. Il m'a donc fallu trouver des astuces, insérer de la musique [on entend des airs de derbouka, bouzouki et oud, ndlr], et édifier via le montage et le mixage une trame nette, intelligible. » Autre obstacle, la multiplicité des intervenants : une centaine de comédiens ont participé au feuilleton. « Même pour une seule phrase, j'en ai fait venir de nouveaux afin d'obtenir les couleurs vocales des différents personnages, et de répercuter l'énergie d'une vraie troupe. »
A l'origine du projet, Emmanuelle Chevrière, conseillère littéraire à France Culture, tente de construire des ponts entre bande dessinée et fiction radiophonique. « Avant Agrippine et Les Frustrés, de Claire Bretécher, diffusés l'année dernière, il n'y avait rien eu en la matière depuis une bonne quinzaine d'années. Or il est extrêmement intéressant de transposer sur les ondes un univers essentiellement visuel, avec des codes bien spécifiques. » Un défi stimulant, qui n'en est qu'à ses balbutiements : la station culturelle publique se prépare à adapter Gemma Bovary, de l'Anglaise Posy Simmonds, et Quartier lointain, du Japonais Jirô Taniguchi, bâtissant ainsi une véritable collection BD à la radio.