Naissance des Sons fédérés, une “assemblée des artisan·e·s radiophoniques et sonores” |
Une soixantaine de passionnés et d’artisans du son venant aussi bien de la radio publique que de webradios s’est constituée en collectif lors du dernier festival Longueur d’ondes de Brest. Et publie un manifeste pour défendre la création sonore sous toutes ses formes et lutter contre la précarité des auteurs.
Brest, le 9 février 2020. Le festival de radio et d’écoute Longueur d’ondes s’achève, mais en marge de l’événement a lieu une assemblée qui réunit une soixantaine de passionnés de la création radiophonique et sonore. De ce moment d’échange naissent Les Sons fédérés, une « assemblée des artisan·e·s radiophoniques et sonores ». Ils publient dans la foulée un manifeste et une lettre ouverte à François Hurard et Nicole Phoyu-Yedid, les rapporteurs d’une mission pour le développement d’un fonds d’aide à la création et à l’innovation sonores au ministère de la Culture.
Qui sont Les Sons fédérés ?
Les Sons fédérés agrègent des « personnes qui fabriquent du son, qui font de l’écoute et qui en parlent », précise Anaïs, créatrice sonore [la plupart des personnes interrogées n’ont pas souhaité voir leur identité complète révélée, ndlr]. « Assemblée », « rassemblement », « communauté », la terminologie n’est pas rigide mais chaque terme reflète un intérêt farouche pour le collectif face à l’expérience individuelle. Parmi les cent soixante signataires du manifeste, une multitude de profils, de métiers et de statuts. Certains viennent de la radio publique, d’autres, du privé, de webradios, de collectifs de création ou encore d’associations. « Nous sommes nombreux et n’avons pas la même histoire ou le même regard sur nos pratiques », indique Anaïs.
Quelles colères, quelles revendications ?
Des métiers précaires, sujets à l’isolement
Pour Les Sons fédérés, il s’agit d’abord de rendre compte de la précarité des auteurs : « Nous sommes [...] fragiles. [...] Ce que nous produisons n’est que très rarement rémunéré à la hauteur du temps, de l’énergie et des savoir-faire engagés. [...] Nous demeurons précaires et devons bien souvent tisser des formes de vie complexes entre plusieurs métiers. » Selon le compte-rendu d’audition du 3 mars, « dans le meilleur des cas, l’auteur·trice [d’un documentaire radiophonique] n’atteint pas même l’équivalent d’un Smic pour son travail ». Il s’agit de rendre visible ces conditions de travail pour mieux les dénoncer. Face à cette précarité, il est nécessaire de créer des solidarités. « En France, le monde de la radio et du son est fragmenté en plusieurs chapelles ; Les Sons fédérés les réunit et c’est extrêmement nouveau », analyse une auditrice signataire.
Pour une création sonore protéiforme
La création sonore doit être polymorphe et variée. C’est un des points saillants du manifeste, qui énonce une inquiétude face à « la montée en puissance de ce que nous nommons le podcast industriel ». Pour une auditrice signataire, il renvoie à un mode de production qui émane de la radio publique et des studios indépendants. Temps de captation et de montage réduits, écriture standardisée… La production est mise au service d’une certaine rentabilité. Elle est « intégralement scénarisée. On doit savoir ce qu’on va chercher et ce qu’on va dire de manière extrêmement précise. C’est à rebours de tout ce que permet la radio, c’est-à-dire aller à la rencontre de l’autre, se laisser surprendre par le réel, par le timbre d’une voix inattendue ou par un silence », explique la même auditrice. Pour une documentariste radio signataire, « plus ça va, plus on [nous] demande de faire des projets de l’intime à la première personne. Il faut dramatiser le récit sur le modèle des productions sonores nord-américaines ». Les Sons fédérés se sont constitués pour rappeler que la création sonore ne se résume pas aux podcasts lancés par les grands studios de production. Qu’elle a besoin de temps long et recouvre des écritures aussi multiples que variées, qu’il s’agit de ne pas ignorer au profit d’un modèle dominant.
Quels fonds pour la création sonore ?
Les rapporteurs du ministère de la Culture Nicole Phoyu-Yedid et François Hurard ont été chargés d’enquêter pour le développement d’un fonds d’aide à la création et à l’innovation sonores. L’ambition des Sons fédérés est de pouvoir contribuer aux discussions relatives à ce projet. Une rencontre a eu lieu le 3 mars ; elle a permis à une délégation de six membres d’énoncer les caractéristiques d’un fonds idéal. « D’abord, qu’il se montre ambitieux. Ensuite, que le fléchage de l’argent aille bel et bien aux créateur·trice·s, auteur·trice·s et non aux diffuseurs. Bien entendu, qu’il promeuve toutes les expressions sonores, protéiformes, dans et hors radio, et non des produits formatés. Enfin, que les auteur·trice·s y soient décisionnaires (75 % des sièges à la commission de sélection) », écrivent-ils dans le compte rendu de la rencontre. Des questions restent en suspens : d’où viendrait l’argent de ce fonds ? Qui en bénéficierait et selon quels critères ? Les inspecteurs rendront leur rapport à fin du mois de mars. Dans le contexte chahuté d’un audiovisuel public en pleine réforme, ces artisans du son, qui ont à cœur de pouvoir produire un travail de qualité et sur le temps long, seront-ils entendus ?