Podcast : “Gardiens de la paix” sur Arte Radio, une édifiante plongée au cœur du racisme policier |
En Seine-Maritime, un policier découvre le racisme de ses collègues. Arte Radio – en partenariat avec Mediapart – diffuse des extraits audio de leurs propos. Malgré un dépôt de plainte et une enquête en cours confiée à l’IGPN par le procureur de Rouen, ces agents sont toujours en poste.
En vingt ans de carrière dans la police, jamais Alex ne s’était senti stigmatisé. Jusqu’à ce qu’il tombe, dans un groupe privé WhatsApp, sur les messages vocaux racistes et suprémacistes blancs échangés entre ses collègues. Ces derniers avaient découvert sa récente inscription sur une application de rencontres et commentaient avec un déchaînement de violence : « Quand je vois des gonzesses s’offrir à des nègres ou à des bougnoules, je m’en bats les couilles si elles se font démonter la gueule ou buter. Tu as voulu la couleur, maintenant faut que tu paies la redevance, lâche l’un des policiers du commissariat de Rouen. Ce pays mérite une guerre civile raciale bien sale, il faut qu’ils crèvent, ces chiens. »
Des propos qu’Alex découvre par l’intermédiaire d’un coéquipier – lui-même intégré à ce groupe WhatsApp –, décidé à le soutenir face à leurs collègues. « Il a fait preuve de courage en acceptant d’enregistrer pour lui ces échanges orduriers », salue la productrice Ilham Maad, qui a récupéré seize heures de cette conversation pour en diffuser des extraits dans son documentaire Gardiens de la paix pour Arte Radio. « C’était la pire journée de ma carrière », se souvient Alex, qui décide de porter plainte, le 23 décembre 2019, contre six agents pour « provocation non publique à la discrimination », « diffamation non publique en raison de l’origine, l’ethnie, la nationalité, la race ou la religion » et « injures non publiques en raison de l’origine, l’ethnie, la nationalité, la race ou la religion ».
Racistes, misogynes, antisémites
Dans la police, le racisme n’a rien d’anecdotique et imprègne le quotidien au détour de conversations, sous couvert d’humour. Les personnes racisées, les femmes, les juifs, les musulmans sont des cibles de prédilection avec des dérapages plus ou moins vifs, comme ce jour où un adjoint de sécurité (qui racontera cette histoire à Alex) arrête sa voiture de police pour laisser passer une mère engagée sur la route avec une poussette et se fait incendier par un collègue : « Pourquoi tu t’arrêtes, il fallait l’écraser, c’est une négresse. » Masquer son malaise, ne rien dire, ravaler sa colère : il n’avait pas d’autre choix : « Tout le monde se tait, pas d’écrits donc pas de preuves, impossible de dénoncer quoi que ce soit sans risquer de se retrouver seul face au groupe. » La journaliste connaît Alex depuis des années, « à Bobigny, en Seine-Saint-Denis, où il travaillait avant sa mutation, il n’avait pas eu à subir de racisme. Sans doute aussi car la diversité est plus importante en région parisienne, il y a comme un filtre ».
Après avoir envoyé un rapport à sa hiérarchie, Alex est entendu et muté dans une autre unité. Il rejoint la patrouille anti-délinquance toujours dans le même commissariat : « Je suis soutenu par ma direction et mes nouveaux équipiers, rapporte-t-il, soulagé. Cette nouvelle affectation m’a redonné le goût d’être policier. » Malgré la plainte déposée et une enquête en cours confiée à l’IGPN par le procureur de Rouen, ses anciens collègues sont toujours en poste et leurs téléphones n’ont toujours pas été saisis. Quant à son ancien coéquipier – qui a produit les preuves –, il n’a toujours pas été interrogé...
Pourtant, ce mercredi au Sénat, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, affirmait que « chaque faute, chaque excès, chaque mot, y compris des expressions racistes » de la part d’un gendarme ou policier ferait « l’objet d’une enquête, d’une décision, d’une sanction », rappelant la condamnation de deux policiers marseillais en mai dernier à quatre ans et à dix-huit mois de prison pour « enlèvement et séquestration, faux et violences volontaires ».
L’éthique et l’exemplarité
Mais peut-on encore être rassuré par le « premier flic de France » quand on entend ces agents toujours en fonction tenir des propos racistes, misogynes, antisémites ? Se vantant par exemple de constituer un stock d’armes à domicile (fusils d’assaut, grenades….) en prévision d’une guerre civile : « Vivement l’effondrement, il n’y a pas que la diversité qui va prendre cher, la gauche aussi. Il va vraiment falloir éliminer ces fils de putes. La purge chez les Blancs va se faire toute seule… On va manger notre pop-corn devant la télé et quand ils sont bien affaiblis on achèvera les bêtes. » Christophe Castaner a affirmé vouloir toujours être « intransigeant sur l’exemplarité et l’éthique de nos forces car c’est le ciment de la confiance que nos concitoyens placent en eux ». Comme le démontre ce documentaire, ces fondations sont fragilisées même dans les rangs policiers.