Sophie Divry (3/3) |
Épisode 43 - Lucifer et savoir-faire.
À l’automne 2014, quand Sophie Divry reçoit la mention spéciale du prix Wepler pour son roman La Condition pavillonnaire, elle rappelle dans son discours que tout.e écrivain.e a ses « démons », jadis énumérés par Jacques Roubaud : « Le démon de la digression et de la parenthèse, le démon de la procrastination, le démon des plans ; le démon de l'originalité absolue, qui trompe souvent les artistes ; le démon de la cohérence ; le démon de la description : le démon de l’érudition »
Le livre qui suivra, intitulé avec malice Quand le diable sortit de la salle de bain (Noir sur Blanc, 2015), sera donc un « roman improvisé, interruptif et pas sérieux » dédié « aux improductifs, aux enfants, aux affamés, aux rêveurs, aux mangeurs de nouilles et aux défaits ». Autofiction piégée voire « complètement brindezingue », le bouquin s’attache aux galères de Sophie, une drôle d’autrice trentenaire, qui se fait du souci dans son appartement lyonnais de douze mètres carrés. Pauvre, mais pas malheureuse, elle part à la recherche d’un emploi pour calmer sa faim.
Ce qui aurait pu être le départ d’un roman tire-larmes sur la précarité se transforme en coffre aux trésors d’une extraordinaire richesse comique. Son démon personnel, « Lorchus », sort (effectivement) de sa salle de bain pour pervertir et désorienter le récit, tout comme sa mère, son éditrice, son meilleur ami ou l’écrivain Pierre Bergounioux, qui n’arrêtent pas d’intervenir. S’y entrechoquent alors, avec une joie contagieuse : un conte pour enfants, une fable médiévale, un calligramme salace dessiné sur deux pages, des néologismes à foison, les ingrédients nécessaires pour un bon « contemplage de plafond », des jeux typographiques ou des chats pornographiques.
Héritière énergique d’une littérature « de la dèche » où se télescopent les reportages de George Orwell « à Paris et à Londres », Amer Eldorado de Raymond Federman ou La Faim du Knut Hamsum, Divry déplie ici, selon ses vœux, un « grand rire sardonique dans le fond de l’abîme ». Et ça marche ! Ce roman férocement marrant, que n’importe quel.le auteur.e en herbe devrait se procurer pour se souvenir que tous les cadres peuvent être explosés, demeure à ce jour sa meilleure vente (15 000 exemplaires).
Dans ce troisième et dernier épisode, nous allons voir comment, au-delà de la farce, elle est parvenue à faire sienne ce conseil du peintre Jean Dubuffet, qu’il convient de lire avec une voix de diablotin : « L’art doit toujours un peu faire rire et un peu faire peur. Tout, mais pas ennuyer. »
Crédits:
Enregistrements : avril 2021.
Entretien, découpage : Richard Gaitet.
Lectures : Chloé Assous-Plunian, Christophe Brault, Emma Broughton.
Prise de son, Montage : Sara Monimart.
Réalisation, mixage : Charlie Marcelet .
Musiques originales : Samuel Hirsch.
Flugabone : Brice Perda.
Illustration : Sylvain Cabot.
Production : ARTE Radio.