Plan de départs à Radio France : les négociations suspendues jusqu’à la rentrée |
Pour se donner le temps d’analyser les effets de la crise sanitaire, la direction du groupe radiophonique public a décidé de suspendre les négociations jusqu’à la rentrée. Le rapport de deux cabinets mandatés par les représentants du personnel, rendu en mars, vient souligner la nécessité de réviser le plan de la direction.
À Radio France, la crise sanitaire est une crise dans la crise : celle, sociale, qui agite depuis des mois le groupe radiophonique public, qui doit réaliser 60 millions d’économies d’ici à 2022. Avant que le Covid-19 suspende le temps du dialogue social à la Maison ronde – et nombre d’émissions –, les négociations sur le plan de réorganisation de la direction allaient bon train, après plus de deux mois de grève pendant l’hiver. En jeu notamment : la transformation du plan de départs volontaires menaçant 299 emplois en rupture conventionnelle collective. Pas convaincue, la CGT avait à nouveau appelé à la grève le 12 mars dernier, appel resté sans suite puisque la direction avait suspendu les négociations dès le lendemain à la demande des syndicats, en raison de la situation sanitaire.
La suspension va durer. Lors du conseil d’administration du mercredi 27 mai, la direction de Radio France a fait savoir sa décision de reporter les négociations à la rentrée, puisque deux missions auront lieu pendant l’été : la Maison ronde devra évaluer, d’une part, l’impact de la crise sanitaire sur les salariés et leurs conditions de travail et, d’autre part, les éventuelles conséquences de cette période sur les priorités stratégiques du groupe. Le contexte économique compliqué pourrait par ailleurs freiner les projets professionnels des salariés volontaires au départ, ou bien encourager d’autres à opter pour un départ à la retraite anticipée.
Une mission de soutien à la société
Dans une lettre à ses équipes débutant par des félicitations pour les efforts réalisés pendant le confinement – « tout de suite, votre mobilisation a été là, comme un instinct de service public et, grâce à vous, Radio France a assuré » –, la pdg Sibyle Veil a expliqué sa décision de reporter les négociations en invoquant une mission de soutien à la société : « Aujourd’hui notre énergie collective doit aller tout entière à servir notre public et à soutenir fortement ceux qui sont frappés de plein fouet par la crise, à commencer par le monde de la culture. » Tout en précisant qu’il ne s’agit pas de « faire table rase du projet d’entreprise », la présidente détaille dans cette missive sa volonté d’actualiser ses priorités stratégiques au regard de la crise sanitaire.
Bonne nouvelle pour celles et ceux qui craignaient une externalisation future des productions de Radio France sur le modèle de France Télévisions : Sibyle Veil défend dans sa lettre l’importance d’une production en interne, estimant que « la crise a par ailleurs montré combien il est important que le service public garde la capacité à produire en propre, car si nous n’avions pas ce modèle, Radio France n’aurait pas pu s’adapter aussi vite et produire des contenus sur mesure dans cette crise ».
L’État aidera, mais demande toujours des économies
Autres points évoqués dans la lettre : un futur accord sur le télétravail et des discussions sur les salariés pigistes et CDD, dont la direction a maintenu les rémunérations pendant le confinement. Quant au soutien de l’État – dont la dotation s’allègera de 20 millions d’euros à l’horizon 2022 –, la fin de la lettre est claire : « La position de l’État a été affirmée ce matin lors de notre conseil d’administration après présentation de notre situation financière. La baisse de la contribution à l’audiovisuel public d’ici 2022 reste inchangée, mais il nous soutiendra sur certains effets directement liés aux coûts de la crise, notamment concernant le chantier de réhabilitation [de la Maison ronde, ndlr]. » Dans un entretien donné mercredi au Figaro, la présidente a précisé que les surcoûts liés au Covid-19 pourraient atteindre le montant de 20 millions d’euros.
Le maintien de la diminution de la contribution à l’audiovisuel public (CAP) est jugé « incompréhensible » par les représentants des salariés présents au conseil d’administration, qui ont fait part de leur désapprobation dans une déclaration, et en appellent à Franck Riester : « Il faut revoir la trajectoire de la CAP à la hausse et non à la baisse. Ce que le Parlement a voté en 2018 peut parfaitement être révisé en 2020. La situation l’exige. Le ministre de la Culture, qui n’a quasiment pas dit un mot sur l’audiovisuel public pendant cette crise, doit prendre position. » Et de rappeler leur désaccord avec le plan stratégique de leur direction : « Nous avons déjà dit à de nombreuses reprises combien ce plan, s’il s’appliquait, serait destructeur pour Radio France. Nous le pensions avant la crise de la Covid-19, nous le pensons encore plus aujourd’hui. […] Ce plan, déjà perçu par eux comme punitif, doit être abandonné et pas simplement reporté […]. Nous nous donnerons les moyens de nous opposer si nous ne sommes pas entendus. »
Les syndicats confortés par le rapport de deux cabinets d’expertise
« Techniquement, négocier en juin aurait de toute façon été impossible », souligne Jean-Paul Quennesson du syndicat Sud, agacé par la lettre de la direction. Présent avec lui au conseil d’administration de mercredi dernier, Lionel Thompson, délégué CGT, reste sur la même ligne qu’avant l’épidémie. « Pour nous, le plan de réorganisation doit être revu de fond en comble. Après la crise que nous venons de vivre, nous ne comprenons pas que l’État continue de demander au service public de se serrer la ceinture, tout en aidant financièrement des entreprises privées. La situation reste conflictuelle. »
Depuis quelques semaines, les syndicats peuvent s’appuyer sur l’expertise des cabinets Tandem et Isast, mandatés par le CSE central de Radio France pour analyser le projet de réorganisation du groupe – environ 200 salariés sur 4 700 ont été interrogés. Le rapport, rendu en mars, pointe les zones d’ombre financières du plan et les risques psychosociaux pour les salariés (« sentiment d’insécurité », « crises d’angoisse », « troubles du sommeil »). Évoquant un « malaise social », le document, que nous avons pu consulter, préconise l’abandon ou, a minima, une profonde révision du projet de réorganisation qui, selon les auteurs, « ne répond pas à la situation actuelle » : « Nous préconisons de tenir compte des remontées sur le travail réel […] pour travailler à une nouvelle version du projet de réorganisation, afin que le projet retrouve une légitimité et corresponde à la stratégie présentée, qu’il soit perçu par les salariés comme un progrès social et non comme une dégradation des conditions de travail ; et que les effectifs soient en adéquation avec les besoins et exigences de l’activité. »
« Nous aimerions que la direction prenne sérieusement en compte ce rapport, qui décrit bien les risques que ce plan brutal fait courir à la maison », souligne Jean-Paul Quennesson. Avec la rentrée en ligne de mire : « Nous serons offensifs. »