Sans notes
Mort de Sébastien Demorand : la bistronomie perd un de ses hérauts

Passionné, érudit, bouillonnant, le journaliste gastronomique, qui inventa le mot “bistronomie” en 2004 et qui s’illustra avec verve dans le jury de “Masterchef”, est mort à l’âge de 50 ans.

L’élégance. Et pas seulement dans le chatoiement de ses chemises et de ses foulards de soie, qui firent de lui le dandy grande gueule de Masterchef. L’élégance, Sébastien Demorand la cultivait dans le verbe comme dans la vie. Un esthète de la langue, artisan du mot juste, souvent flamboyant et férocement drôle. Mais aussi un homme empathique et d’une grande gentillesse, la sensibilité pointant derrière le tempérament de feu.

Un personnage à part dans l’univers de la gastronomie, dont le grand public fit la connaissance en 2010, lorsqu’il rejoignit le jury de l’émission de télé-réalité culinaire de TF1, aux côtés d’Yves Camdeborde et de Frédéric Anton. Mais qui, du Gault et Millau au Fooding, de RTL au festival Omnivore – dont il assura pendant dix ans la présentation des masterclass –, a été l’un des acteurs essentiels de la révolution culinaro-médiatique des vingt dernières années.

“Il a participé activement à ce mouvement de déringardisation de la gastronomie”. Le journaliste Emmanuel Rubin

Le mot « bistronomie », devenu le mètre-étalon d’une nouvelle génération de chefs et de restaurants, c’est à lui et à son sens de la formule qu’on le doit. Lancé comme une boutade lors d’une réunion du jury du Fooding, en 2004… et entré quelques années plus tard dans le dictionnaire. « On cherchait un terme pour qualifier ces restaurants qui reprenaient les codes du bistrot, se souvient son complice, le journaliste gastronomique Emmanuel Rubin. On tâtonnait, on avait trouvé des trucs pas terribles du genre “bistroy”, et puis Sébastien a dit : “Et pourquoi pas bistronomie ?” Le mot est resté, d’abord comme la dénomination d’une catégorie de restaurants, pour le prix que nous remettions cette année-là, puis on l’a adopté comme rubrique dans le guide du Fooding, et il a fini par passer dans le langage courant… »

Avec une poignée d’autres, à commencer par Luc Dubanchet, fondateur d’Omnivore, Sébastien Demorand aura contribué à débarrasser la cuisine de son image empesée, à décrire les chefs comme des créateurs audacieux, parfois transgressifs, en prise avec leur époque. « Il a participé activement à ce mouvement de déringardisation de la gastronomie, en prouvant qu’elle pouvait être de son siècle, entrer dans la modernité sans se renier », observe Rubin. Jusqu’à se prêter au jeu du petit écran pour l’expérience Masterchef. « Il y voyait une manière de rendre la cuisine plus contemporaine en se servant du langage télévisuel. Cette émission, comme Top chef, a fait que beaucoup de gens se sont intéressés à la cuisine… »

“Je vote avec ce que je mange et ce que bois”

L’esprit toujours bouillonnant, habité par une curiosité journalistique et une passion inépuisable pour tout ce qui se mange et se boit, ce fils de diplomate avait choisi dès sa sortie du CFJ, à l’heure où ses camarades de promo rêvaient d’investigation politique ou de grands reportages sur des terrains chauds, de rejoindre le guide Gault et Millau. « Il appartient à cette génération de journalistes qui voulaient que la gastronomie soit mieux considérée dans les rédactions, souligne Rubin. Il était convaincu qu’on pouvait lui apporter un traitement journalistique comme n’importe quel autre sujet, et qu’au-delà des enjeux de volupté qui la traversent, il y avait un vaste champ des possibles. »

« Même si la formule peut paraître un peu grandiloquente, il faut voir la cuisine comme un acte politique, car elle est au carrefour de tout un tas de choses : l’économique, le culturel, l’agronomique… nous expliquait-il ainsi en 2017, attablé dans une de ses cantines préférées du passage des Panorama (Paris 2e). En tant que journaliste, en tant qu’être humain, en tant que citoyen, c’est la seule chose qui m’intéresse. Je vote avec ce que je mange et ce que bois. »

Bon vivant – « il n’y allait pas avec des gommettes » sourit son ami Emmanuel Rubin –, ce fou de rock’n’roll était capable de passer trois jours autour d’un pétrin pour tout savoir de la fabrication du pain. « Un fermier qui lui racontait comment poussent ses radis, ça le passionnait. » « Quand je vais au restaurant, mon cœur bat », disait-il. Après avoir contribué à sortir de l’ombre de nombreux chefs, il avait d’ailleurs décidé de passer de l’autre côté de la table, en 2017, en ouvrant une épicerie-cave à manger joliment baptisée le Bel ordinaire (Paris 10e), où il exprimait son amour du bon produit et de l’artisanat de qualité.

“Il était capable d’une véritable empathie pour les chefs, mais sans perdre son sens critique”

Un passionné, mais aussi un passeur hors pair comme il le prouva pendant dix ans sur la scène du festival Omnivore où il jouait le Monsieur Loyal avec verve, humour et pédagogie. Capable de rendre bavards les chefs les plus taiseux, de leur faire exprimer tout le suc de leur métier à force d’empathie, mais aussi grâce à sa connaissance en profondeur de leur travail. « Il m’a sauvé la mise, se souvient le chef marseillais Alexandre Mazzia, qu’il avait accueilli pour une masterclass en 2015. Je venais de recevoir le prix du créateur Omnivore de l’année, j’étais terriblement ému, et en plus j’étais arrivé sans aucun produit pour faire ma démonstration. On a brodé un truc ensemble, il m’a dit, fais ce que tu veux, moi je te suis ! »

Bénédict Beaugé, qui a co-écrit avec lui Les cuisines de la critique gastronomique en 2009, rend également hommage à son talent d’accoucheur : « Il était capable d’une véritable empathie pour les chefs, mais sans perdre son sens critique, et tout en s’attachant à expliciter la démarche des cuisiniers pour le public. »

Ce qu’il nous expliquait avec enthousiasme lorsque nous l’avions interviewé en 2017 : « Je veux que les gens assis dans leur fauteuil se disent “j’ai appris quelque chose, c’était un moment émouvant, fou, intéressant, technique, imaginatif, dépaysant”… Le critère essentiel est ce que ça raconte d’une cuisine, d’un territoire, d’une évolution, ce que ça apporte culturellement. Pour comprendre, il faut faire un parallèle avec le cinéma ou la littérature : tel film, tel livre qui vient de sortir, qu’est-ce qu’il nous raconte ? De la même manière, que nous raconte tel cuisinier mexicain qui a travaillé en Norvège, au Japon ou en Tasmanie, que nous fait-il découvrir, comment nous fait-il voyager ? Il y a mille et une façons d’aborder une assiette ! » Une approche qu’il voulait, disait-il, à la fois « joyeuse et rock’n’roll ». À l’image de sa vie.


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